Arcanes, la lettre


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...

HISTOIRE


avril 2024

DANS LES ARCANES DE


Exécution du parricide Jean Allières au Port-Garaud, 2 mai 1901. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 25Fi23 (détail).

Hache comme Histoire


En évoquant « L‘histoire avec sa grande hache », Georges Perec a créé, à l’instar de la Mort et de sa faux, une allégorie puissante : la grande Histoire venant trancher, souvent dramatiquement, le cours de la vie des petites gens. Guerres mondiales, civiles, révolutions ont toutes charrié dans leur sillage nombre de destins brisés, à commencer par les propres parents de l’écrivain.

Mais ce sont aussi les petites haches qui parfois font l’histoire, telle celle utilisée par Jean Allières, habitant de Labarthe-sur-Lèze, pour assassiner sa mère dans la nuit du 26 au 27 novembre 1900. Ce n’est pas tant l’horreur du crime ou l’attitude cynique du matricide, mais sa conséquence principale, à savoir le châtiment final, qui devait rester en mémoire. En effet, il donna lieu à la seule photographie connue d’une exécution publique à Toulouse. 

Nous évoluerons donc entre la grande et la petite histoire au fil de ce 152e numéro d’Arcanes en commençant par les mythiques escaliers d’Odessa, magnifiés par Sergueï Eisenstein, mais aussi, on le sait moins, immortalisés par le Toulousain Louis Albinet quelques années plus tôt, lors de la campagne d’Orient. 
Il sera ensuite question de bobards et autres affabulations de témoins qui émaillent les procédures judiciaires pour crime d’adultère dans la France d’avant la Révolution. En revanche, nul mensonge ne viendra entacher notre brève histoire de l’avènement des Archives en France. Seules certaines légendes seront un peu mises à mal. 

Ce ne sera pas le cas de la création mythique des Jeux Floraux à Toulouse, au début du 14e siècle, célébrée dans un tableau de Jean-Paul Laurens ornant l’escalier monumental de l’hôtel de ville.  A cette page d’histoire marquante peuvent s’ajouter toutes les autres pages constituant les Annales de la ville de Toulouse rédigées depuis la fin du 13e siècle jusqu’en 1787. Outre leurs chroniques annuelles, elles recèlent de nombreuses illustrations parfois très utiles aux archéologues.
D’ailleurs, même si nous fermons au public jusqu’au 27 mai prochain pour cause de travaux, tous les amateurs d’histoire et d’archives pourront néanmoins accéder à nos fonds via notre site internet, notre base en ligne et Urban-Hist. Dans l’attente de vous retrouver IRL [In Real Life].

ZOOM SUR


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Campagne d’Orient, Odessa (Ukraine). L’escalier de Richelieu aujourd’hui baptisé "escalier du Potemkine", Décembre 1918-mars 1949, Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi1012.

La marche de l'histoire


avril 2024

La découverte d’un fonds d’archives s’accompagne, bien souvent, de son lot de surprises et d’étonnements. Très récemment, celui du photographe toulousain Louis Albinet (1850-1938) a encore frappé. Après avoir évoqué les apparitions inattendues à l’image de son ombre lors d’un précédent billet, cette fois, c’est celle de cet escalier monumental qui est restée solidement ancrée dans ma mémoire. Nos lecteurs cinéphiles ont peut-être déjà une petite idée, mais aujourd’hui on voyage à Odessa, et je vous raconte à quel point une seule photographie peut avoir le pouvoir de témoigner si subtilement de l’histoire. En 1925, une scène mythique de l’un des monuments de l’histoire du cinéma, Le Cuirassé Potemkine, fait entrer dans l’Histoire les 192 marches de l’escalier Richelieu d’Odessa. Réalisé par Sergueï Eisenstein, le film raconte un épisode historique de la Russie : la révolte et la mutinerie de l’équipage du Cuirassé Potemkine survenues pendant la révolution de 1905, considérées comme prémices de la Révolution d’Octobre 1917. Ce long-métrage, en plus d’être pour l’époque une véritable prouesse technique usant d’un des premiers travellings du cinéma, est surtout réputé pour être une des œuvres de propagande majeure du XXe siècle. Sous la demande du gouvernement soviétique en place, l’auteur romance et transforme l’histoire, usant de procédés esthétiques révolutionnaires, pour appuyer la nouvelle philosophie idéologique en place. 

Attendez, pas la peine de vous essouffler en grimpant à toute allure ces 142 mètres qui s’étendent entre ces deux différents récits d’une seule et même histoire. Prenons tout de même un peu de temps pour faire une pause, et arrêtons-nous sur un des neuf paliers intermédiaires pour écouter celle de Louis Albinet, l’auteur de cette vue stéréoscopique sur plaque de verre. Au cours de la Première Guerre mondiale, le photographe est mobilisé sur le front d’Orient et intègre le Service Archéologique de l’Armée d’Orient. Dans ce cadre, il produit une importante quantité de clichés et nous fait voyager en Grèce, allant de Salonique à Delphes, puis en Turquie, pour terminer sa course, en mars 1919, dans la ville d’Odessa. Peu avant son retour en France, il nous dévoile l’atmosphère hivernale de cette ville et arpente ses avenues enneigées. Situé en contrebas de cette enfilade interminable de marches, il double de quelques années le réalisateur russe, et révèle cet ouvrage architectural qui deviendra, des décennies plus tard, si célèbre.

Croyez-le ou non, les escaliers ont bien des histoires à nous raconter. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de terminer cet article par une de mes dernières trouvailles, encore signée de la main de Monsieur Albinet. Il nous emporte avec lui à Sienne, en Italie, en compagnie de sa très chère épouse. Qui sait, peut-être que cet escalier fort photogénique, mis en valeur par les douces lumières des vacances, ainsi que la pose de Juliette Albinet vous évoqueront quelques belles histoires et raviveront les scènes les plus marquantes issues de vos films ou séries favoris.

DANS LES FONDS DE


[Fou, ou possédé, cabriolant sur son lit]. Gravure anonyme, vers 1659. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-81.862.

… à dormir debout


avril 2024

Dans l'inépuisable fonds d'archives des affaires criminelles des capitouls, nombre de situations décrites, tant par les plaignants que les témoins, nombre d'excuses fournies par les accusés, donnent quelquefois matière à de véritables histoires à dormir debout sorties tout droit de l'imagination des uns et des autres.
Les plus flagrantes se trouvent dans les plaintes pour cas (supposés) d'adultère. Là, les plaintes portées par les maris1 donnent déjà le ton : invariablement leurs épouses volages se prostituent outrageusement, dilapident les biens du foyer et, pour la bonne mesure, s'arment de poignards, de pistolets et de poison afin se débarrasser de ces maris gênants. Tout ceci n'est que rhétorique attendue, bien loin de la réalité et, finalement, assez peu efficace.
Lors du procès fait à Honorée C. en 1772 ; la plainte portée par Joseph Dardene, son mari, est en tout point conforme à cette norme, si ce n'est qu'en plus l'épouse, un temps enfermée au couvent du Refuge2, s'en est évadée « par le secours de ses draps et de quelques personnes inconnues qui lui tinrent la main pour cet effet »3.

Mais le meilleur reste à venir : en effet, les témoins soigneusement choisis par les plaignants, s'en donnent à cœur-joie. C'est à qui inventera avoir assisté aux scènes les plus scabreuses, presque orgiaques. La chose est d'autant plus perceptible lorsqu'il s'agit de jeunes témoins qui, quelquefois peu au fait des choses de l'amour, s'ingénient à inventer des situations qui défient les lois de la mécanique des corps et de la gravité.
Nous vous en ferons grâce ici, nous bornant au seul cas de mademoiselle de L, fille d'un conseiller au parlement, et épouse de monsieur de P., substitut du procureur général au parlement4.
En 1741, après avoir quitté son mari pour la deuxième ou troisième fois dans l'année, supposément pour rejoindre un comédien, elle aurait vidé les armoires de la maison conjugale. Jusque là, tout reste plausible. Et voilà que les témoins viennent déposer. Ils se complaisent à lui attribuer une troupe entière de galants, mais cela reste timide, on ne leur rien vu faire ensemble. Voilà qui est gênant dans un tel procès. Heureusement pour monsieur de P., la déposition de Jeanne G. vient à point : selon elle, mademoiselle de L. serait enceinte du fameux comédien, mieux, ils auraient fait cela au nez et à la barbe du mari alors qu'il dormait profondément. Et puis vient le pompon : « elle avoit toujours eu des galans depuis l'âge d'onze ans , auquel tems elle étoit penssionnaire à Grenade. Que pour sortir du couvent elle se frottoit les bras et les mains avec des orties pour se faire venir du mal, dizant à la suppérieure du couvent qu'elle avoit la gale et qu'elle avoit besoin de s'aler baigner ».
D'autres témoins, plus timides pourtant, évoquent qui un escalier dérobé, qui une porte condamnée que l'on fait rouvrir, qui un déguisement d'amazone ; bref, nous sommes littéralement transportés dans un roman ; à tel point que l'on pourrait presque imaginer que ces témoins ont lu l'Histoire de dom B…, ouvrage licencieux précisément édité en cette même année 1741.
Trois siècles plus tard, nous ne pouvons qu'être fascinés par ces contes souvent immoraux, mais qui finalement portent en eux une morale : le mensonge exagéré ne paie pas, puisque quasiment aucun de ces maris n'arrivera à obtenir gain de cause devant les capitouls ; pire certains se voient ensuite poursuivis pour diffamation et subornation de témoins.

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1. Les femmes ne peuvent pas poursuivre leurs époux sur ce chef d'accusation.
2. Lieu de « pénitence » pour les femmes mariées.
3. A.M.T., FF 816/2, procédure # 026, du 23 février 1772.
4. A.M.T., FF 785/3, procédure # 062, du 2 mai 1741.

LES COULISSES


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