
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
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L’un des principes de base en archivistique est le « respect des fonds », selon lequel chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient. Un fonds est défini comme un ensemble de documents, de toute nature, constitué de façon organique par un producteur dans l'exercice de ses activités et en fonction de ses attributions. Un document d’archives ne revêt donc de sens et de valeur que par rapport à cet ensemble, à ce tout dont il procède.
Il en va de même pour les photographies d’archives. Isolées, prises séparément, celles-ci pour la plupart – au mieux – nous interpellent, attisent notre curiosité ou nous séduisent. Elles ne finissent par faire véritablement « sens » qu’une fois appréhendées dans leur ensemble. Ainsi réunies, mises « bout à bout », les images s’éclairent soudain les unes les autres. Re-contextualisées, elles passent du statut d’œuvres quasi muettes à celui de témoignages délivrant des informations précises, documentant un événement, l’histoire d’un lieu, d’un individu, d’une entreprise, etc.
Sur ce cliché : deux sacs postaux en provenance ou en direction de la France posés sur le sol, devant un avion. A son bord, un pilote supervisant la manutention du courrier assurée par deux hommes en tenue de mécano. Isolément, que nous dit cette image, sinon qu’il s’agit là d’un témoignage de l’Aéropostale ? C’est une fois replacée dans son fonds d’origine, mise « bout à bout » avec celles issues de la même série, que l’image va dévoiler ses secrets. On apprend alors qu’on est ici au début des années 1920, à Barcelone précisément, où « La Ligne » imaginée par Pierre-Georges Latécoère pour le transport postal, faisait alors escale.
Et l’on découvre que le jeune homme timide, dissimulé sous sa casquette, est Amédée Jayet (1899-1981) qui a connu dans l’aéronautique civile, un étonnant destin. Entré en 1922 aux Usines Latécoère de Toulouse-Montaudran comme simple mécanicien, il a gravi rapidement les échelons pour finir directeur-adjoint du Centre de Révision de Toulouse d’Air-France. Proche de Mermoz, d’ailleurs rencontré à l’Escale de Barcelone, à la même période que notre photo, c’est à lui que ce dernier aurait confié avant sa disparition : « Vivement que je reparte en courrier sur l'Atlantique ! Au moins, là-haut, on vit ! »… Si la consultation de ce fonds (5Fi) récemment traité vous intéresse, les images numérisées sont accessibles ici.
Nous avons déjà traité de la peur dans un précédent numéro d'Arcanes (février 2021), ainsi que dans deux "Procédures criminelles à la carte" (n°18, octobre 2020 et n°23, mai 2022). Nous allons donc ici dévier légèrement afin d'évoquer une autre facette liée à cette émotion : la peur liée à la surprise et, par ricochet, les syncopes, évanouissements et pamoisons qu'elle entraîne. Les archives criminelles des capitouls sont en cela toutes indiquées.
La mésaventure de François Faramond en est une illustration : harponné par des inconnus rue des Tourneurs, conduit sans ménagement l'épée dans les reins dans un lieu inconnu et séquestré une partie de la nuit les yeux bandés, puis enfin relâché au petit matin, on le retrouve défaillant, hagard, presque en syncope. Ses amis parlent même du « grand trouble où il est qui luy oste presque la raison »1.
En 1738, Jeanne Marie Goume se voit affreusement insultée par le curé du Taur. Sa surprise est telle, « qu'après avoir amèrement pleuré, elle tomba en pamoison », au point « qu'elle en a été réduite aux bouillons pendant cinq ou six jours »2.
François Labeirie est en état de choc ce 28 mai 1772, tellement qu'il se trouve mal en sortant de l'appartement de sa femme et de l'amant de celle-ci, et que l'on est obligé de le soutenir. Les voisins « le mirent sur un fauteuil et lui jettèrent de l'eau sur le visage, qui le remit à lui-même ». Il faut dire que son état vacillant tient autant de la surprise de trouver sa femme avec un autre homme, que de la tentative de strangulation dont il vient d'être victime3.
En 1782, lors d'une course organisée entre Croix-Daurade et la porte Matabiau, le ton monte entre certains des spectateurs, et il laisse vite place à une explosion de violence. Anne, assiste à la scène, et « elle se troubla beaucoup » ; quant à Marie, elle « se troubla & fut s'asseoir »4. Trois ans plus tard, Jacques Monna reçoit une décharge de fusil en pleine face, sans surprise, il tourne de l'œil, tout comme un témoin de la scène qui « se troubla si fort qu'il perdit presque connaissance »5.
Les faiblesses peuvent évidemment être causées par une action mécanique où la surprise et la peur n'ont rien à faire ; à l'exemple de Peyronne Bétignol abordée par Cappelou et ses insinuations salaces, auxquelles elle répond qu'ils n'ont « pas gardé les cochons ensemble ». Vexé, Cappelou lui décoche un magistral coup de poing. Et « on eut toutes les peines du monde à la faire revenir de l'évanouissement dans lequel elle estoit tombée »6. Ou encore Guillaume Rigal qui, en 1769, « tomba à terre en cinqoppe, à demi-mort, sans mouvement et sans parolle victime d'un coup judicieusement placé dans ses parties nobles »7.
Le rideau tombe sur cet éventail sommaire de sources, il tombe d'ailleurs un soir d'opéra en 1772, où l'on joue La fée Urgelle. Le sieur Bourdette y tient le rôle de la Hire. Dès qu'il paraît, les sifflets venant du parterre ont raison de ses nerfs : « il s'est évanoui et a quité la scène »8.
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1 - FF 747/1, procédure # 021, du 1er avril 1703. 2 - FF 782/3, procédure # 088, du 18 août 1738. 3 - FF 816/4, procédure # 094, du 2 juin 1772.
4 - FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782. 5 - FF 829/6, procédure # 122, du 22 juillet 1785. 6 - FF 785/4, procédure # 115, du 17 juillet 1741.
7 - FF 813/4, procédure # 099, du 1er juin 1769. 8 - FF 816/6, procédure # 136, du 9 août 1772.
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Depuis toujours, la coutume voulait que les nourrissons et les enfants en bas âge soient confiés à des nourrices. Toutefois, devant la mortalité infantile due au manque d’hygiène notamment dans les classes indigentes, une nouvelle institution est mise en place, au milieu du 19e siècle, à l’initiative de Firmin Marbeau, jurisconsulte et philanthrope : un lieu où les enfants seraient à l’abri et recevraient des soins appropriés pour leur santé entre leur naissance et l’âge de 2 ans. En effet, à partir de cet âge-là, des asiles pouvaient les accueillir jusqu’à 6 ans, moment où ils étaient alors scolarisés. La première crèche de France, financée par des donations privées, ouvre à Chaillot en novembre 1844. A Toulouse, les premières crèches semblent se développer dans le dernier quart du 19e siècle. Celle de la manufacture des Tabacs date pour sa part de
1912 mais semble être l’aboutissement d’un mouvement enclenché après les inondations de 1875, moment où le directeur de la manufacture avait ouvert au sein de l’usine un local pour accueillir les enfants en bas âge des ouvrières.
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Les archéologues se retrouvent régulièrement les pieds dans la boue à la moindre averse. Il ne peut en être autrement quand son métier est de faire des trous. Et même quand il ne pleut pas, à force de creuser on rencontre immanquablement un jour la nappe phréatique. Cela sonne généralement l’arrêt des travaux sauf pour des structures archéologiques particulières : les puits. Par fonction, ils baignent dans l’eau et il est alors impossible d’éviter le bain de boue si l’on veut les explorer jusqu’au fond. La photographie que nous présentons l’illustre parfaitement avec un puits antique fouillé, en 2017, par le service archéologique de Toulouse Métropole dans la commune de Cornebarrieu.
Pire encore, la boue séchée peut aussi poser problème. En effet, le sous-sol de Toulouse est formé par une roche particulière mise en place durant l’ère tertiaire : la molasse. Très tendre, elle peut facilement se transformer en boue, glisser et se reconstituer quasiment à l’identique en séchant, au point qu’il est difficile de s’apercevoir qu’elle a bougé. C’est un piège dont les archéologues toulousains se méfient, surtout lorsqu’ils fouillent au pied des collines qui entourent la ville. Quand ils y rencontrent une couche de molasse, ils se gardent bien de conclure hâtivement qu’ils sont en présence d’une strate géologique naturelle très ancienne. Ils creusent toujours un peu plus profondément pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une coulée de boue molassique qui, dévalant des pentes, aurait recouvert des vestiges beaucoup plus récents.
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