ARCANES, la lettre

Zoom sur


Chaque mois, les Archives présentent dans la rubrique "zoom sur" un document issu de ses fonds, nouvellement acquis ou bien un document exceptionnel. Retrouvez ici une petite compilation de tous ces articles.

ZOOM SUR


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Course en sacs à Nikki, anciennement Négoçani (Grèce),1918, Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi917.

Voir double


octobre 2024

 

Non, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas votre vue qui vous fait subitement défaut à la lecture de ce billet. Inutile de contacter en urgence votre ophtalmologue, vous n'êtes pas atteint de diplopie ; vous êtes simplement confronté à une photographie stéréoscopique. Cette technique fascinante, popularisée dans les années 1850, repose sur des principes découverts dès 1838 par Charles Wheatstone, permettant au spectateur de percevoir une image en trois dimensions. Ces deux vues jumelles, presque identiques, sont conçues pour tromper notre perception et créer une sensation de relief, c'est le principe de la vision binoculaire. Nos yeux, espacés d'environ 6 cm, regardent ces clichés décalés, et notre cerveau synthétise ces informations pour nous donner l’illusion de profondeur. Afin d’éviter une fatigue oculaire certaine pour le restant de votre journée, je vous conseille d’utiliser un stéréoscope au lieu de vous épuiser à tenter de loucher des heures durant devant vos écrans. Cet outil permet de visionner ces deux mêmes images de manière qu’elles se juxtaposent pour n’en faire apparaître plus qu’une. Et là, la magie opère : des éléments en premier ou dernier plan se détachent du décor. On s’immerge dans l’image, qui nous semble parfois même s’animer. 

À ses débuts, le procédé stéréoscopique était encore mal maîtrisé et principalement utilisé par des professionnels ou quelques amateurs éclairés. Cependant, à partir de 1893, cette technique connaît un véritable regain d'intérêt grâce à la commercialisation du vérascope Richard. Cet appareil, réputé pour son format compact, est beaucoup plus facilement transportable que l’imposante chambre photographique de l'époque. Dans le commerce, on trouve désormais de petites boîtes contenant une douzaine de plaques de verre prêtes à l’emploi, rendant ainsi la stéréoscopie accessible à un public plus large.

Dans nos fonds, il est possible de découvrir de nombreuses vues stéréoscopiques. 

Boîtes de plaques de verre ayant appartenu à Louis Albinet.Les supports et types de documents sont variés : des négatifs et positifs sur plaques de verre, ainsi que des cartes sur lesquelles des tirages contacts étaient collés. Sur certaines d'entre elles, l’auteur a fait preuve d’une grande créativité, souhaitant accentuer l’aspect spectaculaire qu’apporte cette technique, en ajoutant de la peinture ou en réalisant de fines entailles pour laisser passer des filets de lumière. D'un autre côté, la stéréoscopie a également été utilisée dans un cadre plus réaliste et documentaire. Une grande partie des images provient de photographes mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. Parmi elles, le fonds Louis Albinet, en cours de traitement, renferme plus de 2 000 stéréoscopies sur plaques de verre. Dès ma première découverte, j'ai été fascinée par ces clichés. 

Aujourd'hui, je les redécouvre, toujours avec émerveillement, mais consciente de l'intention qui animait le photographe : je perçois mieux sa volonté de jouer avec la perspective d'un paysage renversant, ou avec l'architecture monumentale des villes qu'il visite. Chaque image est soigneusement pensée, cadrée et composée pour transmettre une véritable sensation de relief. Dans cette même lignée, je vous invite aussi à explorer sur notre base de données les photographies réalisées par Raoul Berthelé et Antonin Ruffié. 

Reportage sur la vie des Archives de Toulouse, ici le fonds Ancien. Stéphanie Renard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num12/61.

Passeurs de mémoire


septembre 2024
La thématique de ce numéro d’Arcanes, tout comme l’approche des Journées européennes du Patrimoine, me donnent envie de partager un souvenir encore précis : mon premier contact physique avec le monde des Archives, qui fût pour moi décisif. J’étais alors étudiante en Master 2 Archives et Images, à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, et visitais ce jour-là, les magasins de conservation situés au 4e étage des Archives départementales.
La conservatrice Geneviève Douillard qui guidait alors nos pas nous ouvrit les portes d’un monde insoupçonné, mystérieux et fascinant : les arcanes et archives du Parlement de Toulouse. Là, remplissant la pièce, saturant l’air et l’espace, étaient empilés sur de longs rayonnages quelques 100 000 sacs à procès, autant de traces des affaires civiles et criminelles jugées aux 17e et 18e siècles, par cette institution parmi les plus importantes de l’Ancien Régime. Dans ces sacs en toile de chanvre poussiéreux et jaunis par le temps, équivalents de nos actuels dossiers de procédures, était consigné l’ensemble des documents ayant servi à l’instruction des procès : témoignages, procès-verbaux, et parfois même, pièces à conviction. Passant d’un épi de conservation à l’autre, je basculais alors dans une autre temporalité, un peu sonnée par toute cette masse mémorielle et la quantité de témoignages, de traces et sédiments de vies et de destins qui s’y accumulaient et s’entrechoquaient : des flots d’insultes aux objets volés, en passant par les fatales disputes de couples, les récits d’évasion ou de séduction, les accros de voisinage…
De ce monde captivant, je ne suis pas revenue. Et j’apporte depuis, ma petite contribution au monde des Archives en décrivant, communiquant et valorisant les fonds d’archives figurées. Nos missions d’archiviste font de nous des passeurs de mémoire et d’histoire(s), missions que nous serons heureux de vous faire découvrir lors des prochaines JEP.
Portrait flou d'un très jeune enfant assis sur un fauteuil, Début 20e siècle, Raoul Berthelé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 49Fi1348.

Photographie pour les nuls


juillet-août 2024
Pour tout vous avouer, c’est un de mes péchés mignons favoris, celui de butiner à mes heures perdues d’images en images, pour tenter de débusquer mes futurs coups de cœur visuels. Si certains clichés se démarquent bien facilement grâce à leur qualité technique et esthétique, œuvres d’un opérateur ayant suivi assidûment les multiples tips de la Photographie pour les Nuls, d’autres s’éloignent un peu du chemin attendu. Au risque d’être prise en plein flagrant délit d’hérésie photographique, j’ai bien envie aujourd’hui de défendre avec ardeur ces images mises injustement de côté pour cause de peccadilles. Elles sont parfois même un peu ratées, mais n’en demeurent pas moins remarquables, dotées de la qualité de surprendre, intriguer, ou amuser son spectateur. Cadrage médiocre, composition aléatoire, sujet flou, intrusion fortuite d’un doigt sur l’objectif ou de l’ombre de l’opérateur, exposition ratée, ou altération lors du développement du film, la liste est longue. Tant d’éléments qui semblent repoussants, mais qui pourtant révèlent toutes les subtilités et limites du médium, ainsi que la touchante étourderie humaine de l’opérateur. Véritable hantise pour certains, pour d’autres ces anomalies peuvent se révéler être de belles surprises. Sans revenir sur mon obsession pour l’auto-ombromanie évoquée précédemment, il faut savoir que je voue aussi une véritable admiration à l’utilisation du flou dans la photographie. Amateur ou professionnel de l’image, on cherche bien souvent à fuir les mises au point approximatives qui pourraient rendre par mégarde notre sujet de prédilection complètement flou. Oups ! Accident, ou volonté de l’auteur, son usage peut à l’inverse nous raconter bien d’autres histoires. Spirite qui apparaît, double mystérieux, filet de lumière, le flou est aussi source de poésie et souligne parfois tous les tremblements du quotidien. Il offre au photographe la possibilité d’élargir son champ de vision pour retranscrire avec plus de finesse la disparité des sensations et émotions qui nous traversent : exaltation de joie, agitation, fureur, mouvement et vitesse, ou parfois oscillation d’un chagrin dissimulé.
Au-delà de sa qualité artistique ou esthétique, une image n’a pas toujours besoin d’être réussie pour détenir une forte valeur sentimentale. Un cliché raté ou mal cadré, est peut-être étrangement celui qui va nous faire chavirer. Représentant une personne chère à nos yeux, ou un souvenir fugace, c’est ce dernier qu’on souhaite garder proche de nous et qui va intimement prendre sa place dans une des petites poches de notre portefeuille. Il peut aussi être accroché sauvagement sur les murs blancs de notre logement, ou se voir coller religieusement dans un cahier de brouillon faisant office d’ album de famille. Pour ma part, je crois bien pouvoir affirmer qu’ André, Roudoudou pour les intimes, m’en a appris bien plus sur la force de la photographie que la variété des dogmes pratiques d’un quelconque manuel de photographie.
Vue sur les kiosques des allées du Président-Roosevelt. 1952. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 47Fi313.

Magique


juin 2024

Nous sommes en 1952. L’Association française des éclairagistes1 organise, comme régulièrement depuis 1937, les journées nationales de la lumière. Cette année un concours photographique est lancé, qui incite photographes professionnels et amateurs à se saisir de la nuit à l’occasion de la Semaine de la lumière. L’idée est de collecter des images mettant en exergue le soin apporté par la Ville à l’éclairage de l’espace public et des édifices patrimoniaux, mais aussi celui des commerçants à leurs vitrines. Les pratiques changent, nous sommes dans une période d’expansion économique où l’on ne se préoccupe pas de l’accès aux ressources énergétiques et où l’attractivité se joue tant sur la sécurité accordée aux habitants aux heures sombres qu’à l’esthétique : être bien dans sa ville, c’est aussi la trouver belle.  
Le fonds du concours photographique “Lumières sur la ville” compte près de cinq cents tirages dont plus de soixante-dix sont de Jean Dieuzaide. Certains ont été réalisés pour l’occasion, d’autres pour les besoins de clients. 
Si les images de nuit sont courantes aujourd’hui, celles du 20e siècle nécessitaient une maîtrise technique qui n’était pas à portée de téléphone. Il fallait s’équiper d’un trépied, d’une cellule pour mesurer la lumière et régler l’appareil, de patience pour faire la mise au point et de son expérience pour évaluer le type de pellicules à embarquer. Mais le résultat était souvent si inattendu qu’il avait quelque chose de magique.  
Ce fonds nous embarque parfois dans une atmosphère de polar, rues désertes aux pavés luisants. On pourrait voir Bogart surgir d’une voiture à traction, ouverture des portes vers l’arrière et marche-pied, vêtu d’un imper, borsalino et cibiche au bec, à Toulouse-sur-Chicago.

 

1. L’association existe toujours, sous le nom d’Association française de l’éclairage.

Toulouse Football Club / Cercle Athlétique de Paris, 1953. André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi6371.

Jeu de l’oie


mai 2024

Des oies et des jeux ! Non, nous ne sommes pas dans un cirque romain, mais bien dans l’enceinte du Stadium où, en ce 24 mai 1953, le Toulouse Football Club rencontre le Cercle Athlétique de Paris. Sur le terrain, se tiennent côte à côte les joueurs du club toulousain devant leur nouvelle mascotte, une oie baptisée « Jeanne-Marie ». Le palmipède leur aura porté chance puisque, à l’issue de cette saison, le club toulousain est sacré champion de France de deuxième division.

Réalisée par André Cros, cette image révèle toute la malice du photographe. Captant l’air amusé des joueurs observant l’animal, puis nous le donnant à voir, il créé un ping-pong visuel efficace. « Les observateurs/scrutateurs observés » pourrait-on lire en légende du cliché. 

Pour la petite histoire, l’oie devient l’emblème du TFC en avril 1953, suite au déplacement du club à Strasbourg, lors d’un match décisif de la division 2. Souhaitant offrir un cadeau à leurs homologues alsaciens, les dirigeants toulousains leur apportent une oie… vivante ! Hélas, un penalty sifflé en faveur du TFC – qui remporte la rencontre 2-1 – provoque la colère du président strasbourgeois. Hors de question qu’il garde l’animal ! Jeanne-Marie est ramenée à Toulouse, fêtée avec les joueurs à leur arrivée, devenant ainsi la mascotte du club avant de finir empaillée.

Campagne d’Orient, Odessa (Ukraine). L’escalier de Richelieu aujourd’hui baptisé "escalier du Potemkine", Décembre 1918-mars 1949, Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi1012.

La marche de l'histoire


avril 2024

La découverte d’un fonds d’archives s’accompagne, bien souvent, de son lot de surprises et d’étonnements. Très récemment, celui du photographe toulousain Louis Albinet (1850-1938) a encore frappé. Après avoir évoqué les apparitions inattendues à l’image de son ombre lors d’un précédent billet, cette fois, c’est celle de cet escalier monumental qui est restée solidement ancrée dans ma mémoire. Nos lecteurs cinéphiles ont peut-être déjà une petite idée, mais aujourd’hui on voyage à Odessa, et je vous raconte à quel point une seule photographie peut avoir le pouvoir de témoigner si subtilement de l’histoire. En 1925, une scène mythique de l’un des monuments de l’histoire du cinéma, Le Cuirassé Potemkine, fait entrer dans l’Histoire les 192 marches de l’escalier Richelieu d’Odessa. Réalisé par Sergueï Eisenstein, le film raconte un épisode historique de la Russie : la révolte et la mutinerie de l’équipage du Cuirassé Potemkine survenues pendant la révolution de 1905, considérées comme prémices de la Révolution d’Octobre 1917. Ce long-métrage, en plus d’être pour l’époque une véritable prouesse technique usant d’un des premiers travellings du cinéma, est surtout réputé pour être une des œuvres de propagande majeure du XXe siècle. Sous la demande du gouvernement soviétique en place, l’auteur romance et transforme l’histoire, usant de procédés esthétiques révolutionnaires, pour appuyer la nouvelle philosophie idéologique en place. 

Attendez, pas la peine de vous essouffler en grimpant à toute allure ces 142 mètres qui s’étendent entre ces deux différents récits d’une seule et même histoire. Prenons tout de même un peu de temps pour faire une pause, et arrêtons-nous sur un des neuf paliers intermédiaires pour écouter celle de Louis Albinet, l’auteur de cette vue stéréoscopique sur plaque de verre. Au cours de la Première Guerre mondiale, le photographe est mobilisé sur le front d’Orient et intègre le Service Archéologique de l’Armée d’Orient. Dans ce cadre, il produit une importante quantité de clichés et nous fait voyager en Grèce, allant de Salonique à Delphes, puis en Turquie, pour terminer sa course, en mars 1919, dans la ville d’Odessa. Peu avant son retour en France, il nous dévoile l’atmosphère hivernale de cette ville et arpente ses avenues enneigées. Situé en contrebas de cette enfilade interminable de marches, il double de quelques années le réalisateur russe, et révèle cet ouvrage architectural qui deviendra, des décennies plus tard, si célèbre.

Croyez-le ou non, les escaliers ont bien des histoires à nous raconter. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de terminer cet article par une de mes dernières trouvailles, encore signée de la main de Monsieur Albinet. Il nous emporte avec lui à Sienne, en Italie, en compagnie de sa très chère épouse. Qui sait, peut-être que cet escalier fort photogénique, mis en valeur par les douces lumières des vacances, ainsi que la pose de Juliette Albinet vous évoqueront quelques belles histoires et raviveront les scènes les plus marquantes issues de vos films ou séries favoris.

Ardizas (Gers), 1946, chasse à la grenouille, dans le reportage « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne ». Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi4/4.

À table !


mars 2024

Ce qui est incroyable avec le fonds Dieuzaide c’est que vous tirez sur un fil et toute la pelote se déroule. Un peu comme quand je cherche un titre à mon article. Par exemple, sur le thème de la grenouille, une première recherche nous permet de découvrir un reportage de 1946 intitulé « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne » où une des photographies porte la légende « chasse à la grenouille ». C’est maigre pour un article Arcanes. A peine peut-on parler du fait que ce sont les premières vacances post-guerre et que Jean Dieuzaide, comme ses contemporains, souhaite passer à autre chose, montrer que la jeunesse française peut se détendre, profiter de la paix, sortir les bikinis et taquiner le batracien. Sorte de mantra pour conjurer la morosité. D’ailleurs, dès 1945 il avait photographié les premières vendanges en temps de paix après 6 années de répression. 


Mais en creusant plus avant, de frogs en rosbifs, s’impose la question de la cuisine traditionnelle ou, plus largement, de l’alimentation. Et là, il y a. Plus qu’on ne pense. Il y a de quoi illustrer une évolution de la production agroalimentaire et de sa communication pendant les Trente Glorieuses. 


Joie. Et frustration parce que l’exhaustivité est une illusion.  


Nous avons donc, pour la production, le gavage des oies à la main et avec le sourire (toujours en 1946 et visible en ligne), la transformation et le conditionnement du lait dont la production de beurre (Union laitière coopérative), de biscottes (Paré), la cueillette (alimentation de Provence). Le conditionnement n’est pas en reste avec un reportage sur la verrerie ouvrière d’Albi et la verrerie BSN. Signalons un reportage dédié à la production de berlingots pour le lait et des images de produits à fins publicitaires chez ULC.  


Et la commercialisation, on en parle ? Le fonds regorge de prises de vues dans les foires et les marchés, que ce soit autour de joueurs de rugby, de célébrités résidant ou de passage à Toulouse et bien entendu des reportages spécifiques sur les activités économiques. Cela nous mène inévitablement aux foires-expo ou au marché-gare, dont il a également suivi la construction, des maquettes (pour la municipalité de Toulouse) à la fabrication par les Ateliers de la Rive (nous en avions exposé un tirage aux Jacobins en 2021-2022) et l’entreprise Loupiac. Inauguré le 21 avril 1964, André Cros s’y trouve, alors que Jean Dieuzaide est à Arnaud-Bernard pour suivre sa dernière journée de vente. Rassurons-nous, il a suivi de près l’arrivée de l’Épargne et de Monoprix. Ceci nous permet d’affronter un choix cornélien : architecture ou industrie ? Mais si nous restons fidèles à notre idée de départ et que nous nous en tenons à l’alimentation, d’un marché à l’autre nous passons à Victor-Hugo et aux Carmes, dont Dieuzaide nous offre des avant/après reconstruction. Poussons encore d’un pas et partons dans le Gers, nous y trouvons le marché au gras de Trie-sur-Baïse ; continuons à l’étranger : la nourriture reste très présente dans les reportages au Portugal, en Turquie et en Espagne. Poursuivons plutôt vers le nord : même à Londres, il nous délecte d’étals. Nous voici presque au point de départ, un petit saut de grenouille et nous voilà sur nos pattes. 

[14 juillet - Défilé des pêcheurs]. Cliché Marius Bergé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1861.

Un certain sens de la fête


février 2024

Deux hommes – l'un muni d'une épuisette, un filet de pêche autour du cou, l'autre affublé d'un étonnant costume – encadrent un petit chien déguisé posant, sous une ombrelle, en équilibre sur une bicyclette. Une représentation de l'absurde ou de la fête, qui prend parfois un tour déraisonnable, extravagant. On notera l'air malicieux du personnage de droite et les sourires de ceux qui assistent à la scène, à l'arrière-plan. Sa casquette vissée sur la tête, le personnage de gauche essaye quant à lui de garder son sérieux, le temps de la photo s'entend. Sans élément de contexte, que dire de cette image sinon qu'elle illustre un certain sens de la fête ? 
Nos fonds iconographiques comprennent de nombreux clichés réalisés lors de cérémonies, banquets, foires, bals populaires, cavalcades et carnavals… qui nous offrent un témoignage unique de la façon de faire la fête, de célébrer et de commémorer les événements à Toulouse au fil du temps. Cette photographie extraite d'un reportage du photographe et homme de presse, Marius Bergé, montrant comment se déroulaient les festivités du 14 juillet dans les années 1920, n'en fait pas exception. Pendant l'entre-deux-guerres, la célébration de la Fête nationale donnait lieu à l'organisation de toute une série de manifestations : à la traditionnelle revue des troupes pouvaient ainsi succéder des Joutes Cettoises ou des régates sur la Garonne, des courses hippiques ou taurines, une fête de gymnastique, l'arrivée d'un critérium cycliste, un concours de bébés et voitures fleuries au Grand-Rond. Mais ce n'est pas tout.
L'image que nous vous présentons a été prise en marge du fameux concours de pêche initié alors sur les bords du Canal, chaque 14 juillet, par la Société des pêcheurs à la ligne de la Haute-Garonne. Concours qui était précédé d'un défilé costumé – et en musique – lors duquel les pescofis ou pêcheurs toulousains rivalisaient d'originalité. « Les pêcheurs à la ligne ont eu leur journée le 14 juillet » rapportait Le Cri de Toulouse du 28 juillet 1923. « Ils n'ont pas pris la Bastille… mais dans le canal de Brienne, une quantité notable de poissons. 800 lanciers avaient bravé une journée torride pour pincer un chevesne ou un barbillon, voire même un coup de soleil. »

Groupe de Lapons à Tromsø (Norvège) lors de l’expédition au Spitzberg, 1906, Maurice Gourdon - Mairie de Toulouse, Archives municipales, nc.

Job-ci Job-là


janvier 2024
J’ai fait, ces derniers temps, la très rapide connaissance (à travers une partie de son œuvre) du pyrénéiste Maurice Gourdon (1847-1941). Malheureusement, il me sera bien difficile de vous conter avec exhaustivité son parcours et son histoire, tant son activité me paraît si dense et diversifiée. Tout comme beaucoup d’amateurs éclairés de son époque, il est sur tous les fronts, inépuisable ; il multiplie les passions et domaines d'expertise : géologue, paléontologue, cartographe et dessinateur, il porte à lui seul bien des casquettes, menant avec beaucoup de talent ces jobs tous plus variés les uns que les autres.

Il s’intègre dans tout un pan de l’histoire de la photographie toulousaine de la fin du 19e siècle, celle d’hommes très éloignés de toute forme de préoccupations financières, pour qui la photographie n’est en aucun cas leur fond de commerce. Ces passionnés consacrent tout leur temps et/ou carrière à la science. Plusieurs auteurs me viennent rapidement en tête et, à leur évocation, je ne peux que vous inviter à découvrir ces images glanées sur notre base de données, signées des grands noms de cette époque : l’ancien directeur du muséum d’histoire naturel Eugène Trutat, l’archéologue Émile Cartailhac, le chimiste Charles Fabre ou le spéléologue Félix Régnault. Membres de sociétés savantes, amis et associés, ils s’accordent tous sur la place primordiale qu’occupe ce médium, encore bien récent qu’est la photographie, dans l’ensemble de leurs travaux. Cette invention permet enfin aux experts de rendre compte, fixer et reproduire des phénomènes naturels et humains avec une précision, une exactitude et une facilité jamais égalée auparavant. Tous les champs d’étude y passent : l’archéologie, l’anthropologie, l'ethnologie, la géologie, la paléontologie et bien d’autres... car laissez-moi vous dire que dans cette énumération déjà foisonnante, j’en oublie très certainement. Ils photographient non seulement les mutations que connaît la ville de Toulouse durant ces années-là, mais aussi les sommets et sentiers pyrénéens fraîchement découverts, autant que des expéditions dans des contrées lointaines. Nous avons l’exemple ici d’un cliché de projection, réalisé par Maurice Gourdon lors de son excursion en 1906 vers l’île du Spitzberg, sur lequel posent un groupe de Lapons à Tromsø en Norvège. 
 
Je ne sais pas vous, mais de mon côté, je ne cesse d'être fascinée par ce temps de l’histoire : là où la science, l’image, voire la poésie, se rencontrent et finissent par s’entremêler et s’alimenter l’une l’autre. Et oui, n’oublions pas que si la photographie se met avec brio au service de ces érudits, sa pratique nécessite quant à elle des compétences pointues en optique et en chimie pour en maîtriser les diverses techniques et procédés. Petit clin d’œil à Maurice Gourdon : ici, dans la peau d’un apprenti chimiste, il nous livre ses recettes, certainement expérimentées des heures durant dans une chambre noire, tout comme on tenterait de dégotter l’assemblage parfait des ingrédients pour cuisiner le gâteau de quatre heures le plus savoureux possible. Je pense aussi à Félix Régnault, qui dessine à même le négatif papier (ou calotype pour les intimes) pour retoucher avec précision son image et faire naître en nous toujours plus de magie et d’émerveillement.
Saint-Marcet (Haute-Garonne), 1945-1946, vue plongeante depuis la plateforme du derrick sur le puits de forage. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi1/901.

Total fuel experience


décembre 2023

Je vous amène aujourd'hui dans l'immédiat après-guerre, dans une photographie vivante, qui peut provoquer une sensation de vertiges en cascade. 
Des lignes horizontales sur la gauche confrontées à une soudaine verticalité puis à un enchevêtrement de barreaux sur la droite, aucune rondeur, pas d'humain : la lecture est malaisée au premier abord. L'œil cherche un appui, une référence et tout à coup la surface granuleuse du sol boueux apparaît. Alors suivent les tubes, les bacs où l'on voit couler la boue, l'échafaudage, puis le point de vue : le photographe perché au sommet d'une plateforme qui repose sur une tour étroite et vide nous oblige à sonder le trou vertigineux. On imagine la machinerie, les exhalaisons soufrées, le vacarme des moteurs avec leurs moyeux d'acier graissé, les mécaniciens contrôlant, changeant les trépans, têtes aveugles perforant l'intimité de la terre à des profondeurs encore jamais atteintes.
Une première percée à 1900 mètres en 1939 sur la commune de Saint-Marcet, dans le Comminges, permit à la France de s'approvisionner en gaz naturel « local » jusqu'à ce que le gisement soit réputé épuisé, en 2009. Avant d'avoir des idées, nous avions un peu de pétrole. 
Jean Dieuzaide réalise ses premiers reportages sur les hydrocarbures pyrénéens dès 1945-1946. Il documente le ravitaillement en gaz à Toulouse par wagons chargés de bonbonnes. Il se rend dans le Comminges où il photographie les chercheurs dans les laboratoires de géologie de Saint-Gaudens puis le site de forage, les installations et les ouvriers au travail.
Plus tard, il œuvre pour la Régie autonome des pétroles (RAP), se rend dans le Sahara algérien sur la base d'In Amenas, travaille pour la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA). Une partie non négligeable de ses photographies industrielles a été réalisée autour du pétrole et ses dérivés et en 1993 l'entreprise Elf achète la quasi-totalité des négatifs issus de ce travail*. Nous avons encore, aux Archives de Toulouse, tout ce qui concerne le client Heurtey, ainsi que les premiers reportages de 1945-1946, visibles en ligne. 

*Vous pouvez venir sur place consulter le contenu de ce reportage de 1964 en Algérie, cédé par l'auteur au groupe pétrolier.

[Album de la famille Marion-Brésillac - Château de Launaguet] Départ des Mauvaisin, 1912. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 83Fi58/64.

Un petit tour et puis s’en vont


novembre 2023
Les images d’archives documentant les « visites » sous leurs différentes acceptions sont légion, notamment celles d’hommes d’État venus à Toulouse s’entretenir avec les responsables politiques : la presse locale et les institutions ayant eu à cœur de relayer ces événements et d’en garder la trace. Ces photographies de visites officielles, souvent pleines de promesse et d’allant, ont quelque chose d’émouvant. Est-ce dû à leur caractère fugace ? Quoi qu’il en soit, leur enjouement me frappe. À peine arrivées, les personnalités défilent, sourire aux lèvres, dans la voiture automobile ou le fiacre qui les conduit solennellement à l’hôtel de ville, devant une foule en liesse. C’est l’enthousiasme des débuts. Tout est ouvert. Tout est possible. Ainsi de la visite à Toulouse du président Gaston Doumergue, le 9 juin 1929, défilant au côté du maire socialiste de l’époque, Étienne Billières, ou celle de Mohamed el-Habib, Bey de Tunis, le 22 juillet 1923, poétiquement photographié devant l’enseigne « Au Rêve » alors qu’il passe aux abords du Grand Hôtel. 
Voisinent avec ces clichés, des reportages plus prosaïques réalisés lors de visites de chantiers ou d’usines : visite de l’usine aéronautique de Saint-Martin-du-Touch par Valéry Giscard d’Estaing et André Turcat, le 20 mai 1969 ; visite du prince Philip d’Angleterre chez Sud Aviation, en novembre 1965. Sans compter les souvenirs des visites rendues par courtoisie, à la famille ou aux amis, souvent prétextes aux traditionnels portraits de groupe : ici réalisé dans une calèche, au moment du départ, car toutes les visites ont une fin.
Mes préférées entre toutes restent cependant les images prises lors de visites touristiques, quand l’on parcourt un pays à la découverte de ses curiosités et de ses sites. Tel le photographe toulousain Louis Albinet qui, à l’été 1920, a sillonné l’Italie lors de son voyage de noces, nous livrant des clichés d’une rare beauté. Pise, Milan, Rome, Florence, Venise… c’est toute l’Italie monumentale qui défile sous nos yeux. Le fil rouge ? La frêle silhouette de Juliette Albinet posant inlassablement devant la tour penchée, au sommet du palais Vecchio ou embarquée sur une gondole remontant le Grand Canal. Des vues stéréoscopiques sur plaque de verre récemment décrites et numérisées que vous pouvez désormais consulter en visitant ce lien.
Campagne d'Orient, Kirra (Grèce), Groupe devant le café, 1917. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi768.

Mauvaises manies


octobre 2023
Collectionneurs d’images et artistes hétéroclites, vous savez certainement que notre œil est souvent guidé, des fois bien à notre insu, par des petites obsessions et manies visuelles incongrues. En accompagnant le photographe toulousain Louis Albinet (1890-1938) à travers ses périples autour du globe, lors de la numérisation de ses plaques de verre, j’ai développé une toute nouvelle toquade. Prise d’une certaine sympathie pour le personnage, je me retrouve assez facilement à tenter de débusquer dans ses images toutes les traces qu'il a bien voulu nous laisser. Dans cette quête, j'identifie toutes ses apparitions - elles nous permettront de replacer dans l’ordre les différents bouts de son histoire - allant des plus évidentes, telles que des autoportraits et vues le mettant en scène, jusqu’aux intrusions bien plus accidentelles. On se souvient tous de ces portraits, ou paysages capturés, dont on est si fier, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on a malencontreusement laissé traîner notre ombre dans le cadre. Oups. Ce sont bien ces maladresses qui ont tant éveillé mon attention, ces intrusions involontaires, par la lumière, de la silhouette du photographe se superposant au sujet initialement relaté. Malgré la distance géographique et l’écart des années, ces petites boutades provoquent en moi un certain amusement et attendrissement. Professionnel renommé ou simple amateur, nos ombres et reflets s’immiscent des fois si facilement dans nos clichés. Si vous trouvez ma nouvelle lubie peut-être un peu fantaisiste, sachez que ces mauvaises manies ont déjà pu être relatées et remarquées par plusieurs auteurs. L’historien de la photographie Clément Chéroux évoque ce phénomène d’auto-ombromanie dans ses ouvrages Fautographie et Ombres Portées, sans oublier leur place évidente dans le Manuel de la Photographie ratée de Thomas Lélu.

Au risque de passer pour un amateur, l’opérateur n’est habituellement pas invité à paraître à l’image mais, même quand il prend bien soin de rester en dehors du cadre, sa présence peut parfois être tout aussi malvenue. Confrontés à des sujets d’actualité sensibles ou à un modèle un peu récalcitrant, la pratique de cet art implique dans certains cas discrétion et patience. Elle peut mener son auteur à user de quelques subterfuges pour amadouer un sujet, voire le pousser à dégoter la cachette adéquate si la situation le nécessite. Pas toujours attendu, ou muni d’un laissez-passer, le photographe peut être perçu tel un intrus, et quand ses obsessions prennent le dessus, cet argument-là n’est pas toujours suffisant pour dissuader l’artiste. Dans l’ouvrage Rêves d’avions, Jean Dieuzaide nous conte une de ses mésaventures survenues sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac. Pourtant bien habitué des usines de la SNCASE (Société de construction aéronautiques du Sud-Est) et passionné d’aviation, il n’obtient pas l’autorisation d’immortaliser le tout premier envol en 1949 de l’ Armagnac. Mais que nenni, cela ne va pas l’arrêter pour autant. Pour rien au monde il ne manquera l’événement. Toujours équipé de son Rolleiflex, mais cette fois dissimulé sous un long manteau, il s'introduit tout de même ce jour-là sur les pistes, bien décidé à illustrer le décollage du quadrimoteur. Il en saisit alors plusieurs précieux clichés, mais ces derniers lui causeront par la suite quelques sérieux ennuis : une arrestation, des suspicions d’espionnage, à deux doigts même, paraît-il, de lui coûter la prison.
Côte basque, 1947. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi5/267.

Meta


septembre 2023

Début des années 1950, le tourisme se développe à grandes enjambées dans une France où la voiture est une botte de sept lieues, sur un réseau routier qui se modernise. Michelin (pneus, cartes jaunes, guides verts et chefs étoilés) fait des émules : les guides touristiques se répandent, s’attachant une suite de spécialistes du patrimoine dans laquelle Jean Dieuzaide s’insère.

On sait qu’il rencontre Benjamin Arthaud dès 1950 lors d’une réunion du groupe des XV à Paris (groupe dans lequel le photographe Lucien Lorelle le fait entrer), et qu’il débute, à partir de 1953, une grosse décennie de collaborations avec l’éditeur isérois, après avoir fait ses preuves dans La Gascogne. On sait aussi qu’en 5 ans il illustre 13 volumes de la collection « La France illustrée » chez Alpina, petits ouvrages faciles à sortir du sac pendant les vacances ou à utiliser pour faire visiter la région aux amis de passage. Après Alpina il entame une collaboration avec Dom Angelico Surchamp pour les éditions Zodiaque. Une nouvelle rencontre marque l’œil de Dieuzaide, celle de l’art roman, et plus largement du patrimoine religieux médiéval, qui fait écho à sa spiritualité. Après une participation en 1956, il signe la photographie de 6 volumes entre 1958 et 1963 et obtient en 1961 le prix Nadar pour Catalogne romane. Parallèlement il œuvre aussi pour l’éditeur toulousain Privat avec des publications sur l’histoire régionale entre 1955 et 1967.

Ce sont les Trente Glorieuses et il faut alimenter l’appétit de découverte et de voyages avec des publications étoffées ou faciles d’accès mais toujours alléchantes. L’illustration, et particulièrement la photographie, y tient une place de choix. Majesté d’un monument, authenticité de traditions, mise en valeur de richesses locales, le photographe doit traduire l’atmosphère qui donnera envie de venir sur place, il séduit le chaland. En cela, Jean Dieuzaide est un métatouriste. Il parcourt une grande partie du sud de la France et de l’Europe, mais pas que, cahier des charges en poche et valise pleine de documentation sur les destinations pour lesquelles une publication est programmée.

Il visite ainsi une vingtaine de régions et pays en un peu plus de 15 ans, participe à une trentaine de publications et engrange une matière photographique qui remplit plus de 60 albums, consultables sur rendez-vous aux Archives. C’est en partie par ces pérégrinations que Dieuzaide se forge une patte. Son regard s’aiguise, son réseau se développe, il se forge une place notable auprès des directeurs d’entreprises et institutions et répond à leurs très nombreuses commandes, dont nous parlerons lors d’un prochain billet.

Bain de mer au Cap-Ferret, 1908 – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 69Fi223.

Bain de mer


juillet-août 2023

Sale/salle/salé… Je ne sais si cela tient à la saison estivale – propice aux voyages en tous genres et tous azimuts – mais le sujet abordé ce mois-ci dans Arcanes ouvre, aux rédacteurs et « passeurs de mémoire » que nous sommes, un vaste champ des possibles. Que de directions s’offrent à nous ! Alors pourquoi ne pas les emprunter toutes ?

C’est au bord de l’eau, sur les quais de la Garonne, que je m’engage. Là, sur le port Saint-Pierre, le port de la Daurade et le port Viguerie, les lavandières sont au travail. Leurs étendoirs de linge  (sale)  immaculé ponctuent de blanc les représentations anciennes que nous avons du fleuve, nous éblouissant encore de leur clarté et nous procurant une sensation de fraîcheur. Un peu plus loin, c’est sur une île que nous arrivons – Le Ramier – où, dans les années 1925-1930, l’architecte Jean Montariol conçoit, à la demande de la municipalité socialiste, le parc municipal des Sports, véritable palais d'éducation physique et d'hygiène. Une étonnante série de plaques de verre, réalisées en juillet 1931 à l’occasion de l’inauguration de la piscine d’été, nous montre la salle des Fêtes ou salle Jean-Mermoz encore en travaux, comme vous ne l’avez jamais vue.

De la salle Jean-Mermoz à l’aérodrome de Montaudran, il n’y a qu’un pas… ou qu’une association d’idées. A bord d’un avion Latécoère, mettons le cap vers le Sud. Après avoir survolé le détroit de Gibraltar, fait escale à Casa la blanche, longeons les côtes africaines en direction de Dakar en passant par le mythique cap Juby. Sur cette ligne, Saint-Ex, Mermoz, Reine… affrontaient quotidiennement la brume, la chaleur et le vent de sable pour acheminer le courrier au péril de leurs vies. Sale temps pour les pilotes, pourrait-on croire ! Or, pour beaucoup, comme Emile Lécrivain, il n’y avait pourtant de plus beau trajet. « On y grille, on y est pris par les Maures, on y reste. Mais on ne peut s’en détacher. Il n’y a pas de plus belle ligne que Casa-Dakar. Quand le temps est clair, qu’on a la mer bleue d’un côté, le sable tout fauve de l’autre et le ciel au-dessus, que le moulin tourne rond, tout chante à l’intérieur1. »

Ce voyage au fil de l’eau, à travers les époques et nos fonds photographiques, ne serait pas complet sans un bain régénérant dans l’eau salée. Ici, au Cap Ferret, en 1908. Plouf !

1. Joseph Kessel, Vent de Sable (Gallimard, Paris, 1966).

Tramways de Toulouse. Accident ligne 16 (1941). Pierre Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi828.

Quand les choses se gâtent [De l’accident en photographies]


juin 2023

En préambule à l’exposition Ce qui arrive (Fondation Cartier, Paris, 2002), imaginée par le philosophe et urbaniste Paul Virilio sur le thème de l’accident, le visiteur pouvait lire ces lignes éclairantes : "L’un des principaux phénomènes opposant la civilisation contemporaine à celles qui l’ont précédée est la vitesse. L’accident en découle. Il est une accélération qui affecte la vie, l’art… Les sociétés qui développent la vitesse développent l’accident." L'accident défini comme "ce qui arrive" et qui produit toujours un effet de sidération et de surprise  fait partie intégrante de l’histoire contemporaine. Et les photographies en sont les premiers témoins.

La recherche par mot-clé « Accident » dans notre base de données dédiée aux images donne lieu à une foule de résultats illustrant la diversité de la thématique. Depuis les catastrophes naturelles comme les inondations, aux sinistres artificiels de type industriels ou techniques, tous les aspects ou presque de l’accident y sont archivés : des accidents d'avions, de trains ou de voitures – plus attendus – à celui, plus rare, d'un attelage désuet renversé sur « l’ânodrome » des Amidonniers... Et comment évoquer les accidents à Toulouse sans parler de la catastrophe de la Dalbade, fait marquant de l'histoire locale, largement documenté par les photographes Louis Albinet et Marius Bergé ?

Sur le cliché que nous vous proposons, c’est pour les passagers du tram de la ligne 16, reliant Capitole à Guilheméry, que les choses se sont gâtées. Samedi 3 mai 1941, il est presque 14h30 quand un tramway remonte l’avenue Camille Pujol. A l’arrêt situé à proximité du Caousou, un court-circuit se produit. Alors que le wattman descend pour constater l’accident, relate La Dépêche du 4 mai 1941, la motrice fait subitement marche arrière et, prenant de plus en plus de vitesse, sort de ses rails, rentre dans la rue Jean-Goujon, traverse le boulevard de la Gare pour finir… dans les eaux du Canal. Certains passagers vont même jusqu’à sauter de voiture lors de cette course folle. « Jusqu’à une heure avancée, une foule considérable stationnait sur les bords du Canal, témoigne le journaliste. En ville, ce tragique accident a provoqué une profonde émotion ». De la sidération, sans doute.

Vignoble du Jurançon près de Monein. 1950-1955. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi85/nc/Bearn404

Vent d'anges


mai 2023

Une personnalité dont je n’ai pas retenu l’identité aurait déclaré que Dieu, dans sa grande clémence, a donné la soif aux humains pour qu’ils puissent profiter du raisin. Etrangement, dans ces moments, un grand verre d’eau me semble plus approprié et le raisin, je m’en empiffre sans modération lorsque la saison arrive (avec une préférence pour le muscat qui poussait sur la vigne grimpante dans le jardin de mes grands-parents). Je vous laisse tirer les conclusions que vous préférez quant au vin.

Vendanges dans le vignoble de Monbazillac. Saint-Jean-des-Vignes. 1964. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi95/nc/Périgord167

 

En revanche, je peux vous parler de ce que j’observe dans le fonds photographique de Jean Dieuzaide que j’ai la chance d’entretenir tous les jours comme une vigneronne cultive sa vigne. L’agriculture y tient une bonne place, notre photographe montrant une inclination pour le monde rural, ses paysages, ses habitats, ses productions, l’organisation et les gestes du travail de la terre par les animaux, les femmes et les hommes. Parmi ces sujets, la vigne et le raisin témoignent d’un intérêt persistant, mais aussi d’une commande constante de photographies viticoles.

 L’Armagnac, vendanges dans le Gers. 1955-1957. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi89/nc/Gers627

 

À partir de 1951 l’activité de Yan, qui se présente comme photographe reporter, se diversifie. Il pratique la photographie d’illustration pour plusieurs maisons d’éditions, travaillant ainsi pour Arthaud, Alpina, Zodiaque, Braun, Privat, entre autres. Il s’agit, dans ces années, de relancer le tourisme et de valoriser les richesses régionales : patrimoine religieux, industriel, mobilier, bâti, immatériel, paysages. La France est un pays de vin, chaque région productrice souhaite mettre en avant son terroir et ses pratiques ancestrales. Les commandes que Dieuzaide honore comptent inévitablement des passages dans les vignobles, de préférence au moment des vendanges. Nous conservons ainsi des reportages en Armagnac, Gascogne, dans le Tarn, en Gironde (notamment au Château Lafite), dans le Minervois, à Banyuls, Moissac, en Haute-Garonne, Charentes Maritimes, Anjou et en Alsace.

La plupart de ces photographies sont issues de reportages ou de commandes spécifiques réalisés pour des éditeurs, mais sont regroupées dans l’album « Agriculture », consultable sur place et sur rendez-vous.

Coteaux du Layon, vendanges au Château de Fesles. 1952. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi108/nc/Anjou100

 

Rex Stewart, Hugues Panassié et Jacques Morgantini dans les loges du Trianon-Palace, 1947. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84fi5/644.

Tourne-disque


avril 2023
Peut-être que parmi vous, chers lecteurs et amis des archives, se cachent quelques fins connaisseurs et grands passionnés de musique, des adeptes du tourne-disque, des petits disquaires cachés du centre-ville, et toujours à l'affût des moindres concerts et événements de la scène musicale toulousaine. Et quelle diversité, de quoi ravir infiniment les oreilles des mélomanes et noctambules de notre ville ! Mais aujourd’hui, c’est de jazz dont je vais vous parler. A travers une petite tournée historique, je vais tenter de faire résonner en vous toute la sonorité et la rythmique qui lui est propre, et peut-être même vous donner un peu l’envie de festoyer et danser sur des tempos syncopés et des notes bleues.
A défaut de farfouiller dans la discothèque de Jacques Morgantini, c’est du côté de nos collections photographiques que je vous propose de tendre l’oreille. On peut y dénicher de multiples clins d’œil faisant référence à l’engouement des Toulousains pour le jazz. Dans l’entre-deux-guerres, les badauds pouvaient découvrir de talentueux groupes sur les terrasses des cafés situés à proximité des allées Jean-Jaurès et de la place Wilson, Les Américains et l'Albrighi pour les plus connus. Après la Libération, c’est en partie sous l’influence du producteur Hugues Panassié, que la ville continue, encore et toujours, de vibrer et danser pour ce genre musical. Que ce soit sur les ondes de Radio-Pyrénées, ou à travers le cercle du Hot-Club de Toulouse, ce dernier participe très fortement à sa diffusion, envieux de partager son amour et sa connaissance du jazz avec la nouvelle génération toulousaine. Quant aux âmes les plus festives, elles pouvaient aussi se tourner du côté des clubs et dancing toulousains. Difficile alors de ne pas évoquer l'un des rendez-vous les plus prisés des amateurs de jazz, le Tabou, devenu en 1952 l’iconique Tournerie des Drogueurs. Depuis sa cave voûtée, située rue des Tourneurs, tenue par l’artiste et poète Jean Lannelongue, se produisaient lors de longues soirées de bœuf, des jazzmen connus tels que Guy Lafitte ou Philippe Brun. Pour rester dans l’effervescence de la période, je voulais aussi vous signaler les quelques images du célèbre Boris Vian lors de sa venue à l’occasion de la Nuit de l’Existentialisme en 1949.
Avant de conclure, dernier coup d’œil du côté d’un des événements marquants des années d’après-guerre. Le photographe Jean Dieuzaide, en 1947, à travers tout un reportage, immortalise un concert mythique lors duquel des légendes du jazz américain se produisent pour la première fois sur la scène toulousaine : le cornettiste Rex Stewart, accompagné du tromboniste Sandy Williams, le batteur Jo Jones et Vernon Story au saxophone. Sur l’image illustrant ce billet, on reconnaît de gauche à droite trois personnalités, toutes trois déjà évoquées un peu plus haut : Rex Stewart, Hugues Panassié, et Jacques Morgantini, plaisantant dans les loges du Trianon-Palace tout juste après cette mémorable représentation.
Enfin, pour les plus passionnés souhaitant plonger d’une manière plus assidue sur le sujet, je ne peux que vous conseiller de faire un tour dans nos collections, côté bibliothèque cette fois-ci, pour vous lancer dans la lecture du livre de Charles Schaettel qui dresse un panorama détaillé de l’histoire du jazz à Toulouse.
[Pont Saint-Pierre, avant reconstruction] 12/11/1927. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 7Fi34.

« Oh ! »


mars 2023

« Il est tout à fait d’un philosophe ce sentiment : s’étonner », déclare Socrate au début du Théétète, dialogue platonicien sur la science. « La philosophie n'a point d'autre origine ». Or l’étonnement ne saurait pourtant lui être réservé, loin s’en faut.
Ainsi est-il fréquent, dans les services d’archives figurées, d’entendre les uns et les autres s’étonner, s’émerveiller ou même s’émouvoir devant certaines images qu’ils voient défiler. Et l’interjection Oh ! de compter parmi les favorites des archivistes/iconographes.

Quelle n’est pas en effet notre surprise quand l’on retrouve, après maintes investigations, le contexte de prise de vue ou la localisation d’une série d’images d’abord énigmatiques, ou lorsque l’on voit ressurgir, au détour d’un cliché, un édifice, une place ou même tout un quartier aujourd’hui disparu, si non entièrement transformé. Parfois, c’est le sujet même qui nous interpelle par la rareté de sa représentation, son étrangeté ; parfois c’est son caractère désuet qui nous touche. Il arrive même que la beauté de certaines images vienne à nous couper le souffle. Le sentiment du sublime n’est pas loin. Comme cette photographie du pont Saint-Pierre, sur plaque de verre, prise en 1927 par le photographe toulousain, Louis Albinet, que je soumets à votre regard. 

Vue aérienne du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/R7547coul_ret

Transparence


février 2023

Si le nom de Jean Dieuzaide évoque inévitablement la photographie en noir et blanc, beaucoup ignorent que dès la fin des années 1940 il s’intéressait déjà à la couleur. Lorsqu’il conçut les plans de son nouvel atelier1, rue Erasme, en 1964, il prévit même un laboratoire spécialement dédié. Les processus de développement des négatifs, des diapositives et des papiers couleur sont très spécifiques, les tirages doivent être effectués dans le noir total, les chimies employées pour les développements sont différentes de celles utilisées pour le noir et blanc. En entrepreneur dynamique, toujours à la pointe de la technologie et à la tête d’un laboratoire renommé dans tout le sud de la France, Jean Dieuzaide s’est naturellement lancé dans l’aventure.  

Christian Schmidt dessine avec la lumière en 1952. Diapositive couleur. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi12/nc/R7478coul

Diapositive ou négatif, les deux supports ont été utilisés pour des commandes de clients. En revanche de nombreux clichés à destination de la presse ou des éditeurs, illustrant des ouvrages sur Toulouse, sur les régions et les pays dans lesquels Jean Dieuzaide a été missionné, ont fait l’objet de variantes en diapositives. 

Vous n’avez pas encore vu de numérisations de photographies en couleur issues du fonds Jean Dieuzaide sur notre base de données, c’est normal, nous œuvrons en priorité pour rendre visible le noir et blanc. Cependant vous avez pu croiser des indications de leur existence. En effet, le fonds est très organisé, avec ses propres codes : couleurs, abréviations, vocabulaire. Ainsi, sur les albums de contacts vous verrez parfois des petits carrés de couleur en bas à droite des images. Le vert indique que pour l’image en question il existe un exemplaire sur négatif couleur, et le rouge pour les diapositives. Parfois ce sera exactement la même vue, parfois légèrement différente.

 

Vue aérienne du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/R7547coul

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet des duplications de prises de vues lors d’un prochain article, en attendant je vous invite à l’observatoire du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953, après la mise en service du premier téléphérique permettant au personnel d’y accéder plus facilement et tout au long de l’année. L’image illustrant cet article est une diapositive couleur, identifiée grâce à ce contact. Les diapositives, très sensibles aux altérations, ont généralement “viré”, c’est à dire que certaines couleurs ont complètement disparu, laissant des images presque monochromatiques, souvent magenta. Le reportage entier, et en noir et blanc, est consultable en ligne (pages 37 à 43). 

 

Avant de nous quitter, et juste pour le plaisir, voici une photographie issue d’un reportage sur les festivités du 14 juillet 1959 à Toulouse, dont vous avez sans doute déjà vu un tirage en ville, sous les arcades de la place du Capitole. 

Place du Capitole la nuit, les fêtes, 14 juillet 1959. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/T2158coul_ret

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 - Plans du 7 rue Erasme par Jean Montier, architecte, conservés aux Archives municipales de Toulouse sous la cote 115W737. 
 
[Escale de Barcelone - Amédée Jayet devant un avion de ligne aéropostale]. J. Gaspar (Barcelone) - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 5Fi69.

Bout à bout


janvier 2023

L’un des principes de base en archivistique est le « respect des fonds », selon lequel chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient. Un fonds est défini comme un ensemble de documents, de toute nature, constitué de façon organique par un producteur dans l'exercice de ses activités et en fonction de ses attributions. Un document d’archives ne revêt donc de sens et de valeur que par rapport à cet ensemble, à ce tout dont il procède. 

Il en va de même pour les photographies d’archives. Isolées, prises séparément, celles-ci pour la plupart – au mieux – nous interpellent, attisent notre curiosité ou nous séduisent. Elles ne finissent par faire véritablement « sens » qu’une fois appréhendées dans leur ensemble. Ainsi réunies, mises « bout à bout », les images s’éclairent soudain les unes les autres. Re-contextualisées, elles passent du statut d’œuvres quasi muettes à celui de témoignages délivrant des informations précises, documentant un événement, l’histoire d’un lieu, d’un individu, d’une entreprise, etc. 

Sur ce cliché : deux sacs postaux en provenance ou en direction de la France posés sur le sol, devant un avion. A son bord, un pilote supervisant la manutention du courrier assurée par deux hommes en tenue de mécano. Isolément, que nous dit cette image, sinon qu’il s’agit là d’un témoignage de l’Aéropostale ? C’est une fois replacée dans son fonds d’origine, mise « bout à bout » avec celles issues de la même série, que l’image va dévoiler ses secrets. On apprend alors qu’on est ici au début des années 1920, à Barcelone précisément, où « La Ligne » imaginée par Pierre-Georges Latécoère pour le transport postal, faisait alors escale.

Et l’on découvre que le jeune homme timide, dissimulé sous sa casquette, est Amédée Jayet (1899-1981) qui a connu dans l’aéronautique civile, un étonnant destin. Entré en 1922 aux Usines Latécoère de Toulouse-Montaudran comme simple mécanicien, il a gravi rapidement les échelons pour finir directeur-adjoint du Centre de Révision de Toulouse d’Air-France. Proche de Mermoz, d’ailleurs rencontré à l’Escale de Barcelone, à la même période que notre photo, c’est à lui que ce dernier aurait confié avant sa disparition : « Vivement que je reparte en courrier sur l'Atlantique ! Au moins, là-haut, on vit ! »… Si la consultation de ce fonds (5Fi) récemment traité vous intéresse, les images numérisées sont accessibles ici.  

Le mystère de Nérac, la fontaine de pétrole, 1947. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi5/618.

Siphonnés


décembre 2022

Novembre 1947, Nérac (Lot-et-Garonne), des robinets de la fontaine de Fleurette, se met à couler de l’essence. En deux temps trois mouvements, l’affaire occupe la presse locale et nationale qui voient deux avis s’affronter : les uns assurent qu’un gisement se réveille, arguant que le sous-sol recèle un filon pétrolifère, les autres restent sceptiques et s’en remettent aux experts.
En attendant le verdict, Dieuzaide, méthodique, revient donc de Navarre avec des clichés qu’il classe soigneusement en album. D’abord des vues générales de la bourgade, sa rivière la Baïse, son château de la maison d’Albret, puis la fameuse fontaine à conter des histoires. Mise en situation de la population devant les robinets, on montre que le liquide s’enflamme, on tente même une mise en scène « à la façon d’un laboratoire », où, installé à un établi, l’on fait manipuler une bouteille avec une pince… tout en tenant une cigarette allumée à la main. Chaque élément décrit dans les articles parus est illustré, l’ensemble est localisé, daté et organisé*, un personnage est identifié, le reportage est paré pour la vente. Nous avons découvert que France Soir a publié une des photographies dans un article du 6 novembre 1947.
Pendant ce temps, les analyses se poursuivent et les conclusions tranchent le débat : le liquide recueilli est bien raffiné. La voix de la raison corrobore une enquête de police qui atteste de la disparition, possiblement dans le secteur, d’un camion de carburant dérobé en 1940. La piste de l’enfouissement puis de la détérioration des cuves sous terre semble la plus sérieuse, selon plusieurs papiers en date du 7 novembre 1947.
De là à savoir qui était le plus siphonné du camion dérobé ou de certains spécimens de la population, il y aurait un pas que nous ne franchirons pas. En revanche, lorsque nous franchirons une frontière, ce sera sans doute à pied pour aller constater de nos propres yeux si réellement du vin rouge coule de la fontaine d’Irache. Siphonner ou conduire, on a toujours dit qu’il fallait choisir.


* cliquer sur la vignette puis chercher les vues 64 et 65 pour voir les pages de l’album

Observatoire du Pic du Midi de Bigorre, 1880-1908, négatif N&B, 12 x 17 cm. Émile Cartailhac – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 92fi76.

Vue des étoiles


novembre 2022

Pour aujourd’hui, vos lunettes et jumelles ne suffiront pas, je vous conseille de vous équiper d’une longue-vue, ou même d’un télescope, et vous invite à plonger la tête dans les étoiles, et dans une brève histoire de l’astronomie. De tout temps, et même à Toulouse, le ciel et ses mystères ont toujours fasciné les foules. Après des prémices au cours du 17e siècle, inspirées des mouvances et avancées scientifiques de l’époque, c’est au 18e siècle, où Toulouse, acquiert un début de renommée dans ce domaine. Le tout premier observatoire s’installe dans une tour des remparts de la ville, mais rapidement jugé peu adapté, plusieurs scientifiques de l’élite toulousaine décident d’aménager leur propre espace dédié à l’étude des astres. Parmi eux, la personnalité de François Garipuy se démarque tout particulièrement, il installe son observatoire, au rez-de-chaussée, puis au tout dernier étage de sa demeure, située au 16 rue des fleurs, en plein cœur du quartier Saint-Étienne et à deux pas du Palais de Justice.

Presque un siècle d’observations et de découvertes a passé, avant la conception de l'actuel Observatoire de Jolimont. A partir de 1839, il fallait gravir la longue rue du 10 avril, pour atteindre un des points culminants de la ville, la butte de Calvinet, depuis lequel on construisit ce tout nouveau site dédié à l’astronomie. En ces lieux, c’est toute une histoire des sciences, mais aussi d’hommes et de femmes, pour certains devenus célèbres, tel que Benjamin Baillaud, d’autres anonymes, mais œuvrant avec passion en tant que techniciens, calculatrices, ou auxiliaires, à l’étude des phénomènes célestes. C’est depuis ces coupoles, à l’époque isolées de toutes nuisances lumineuses, qu’ils usaient d’instruments pointus, ou bien mystérieux (tout dépend du point de vue), afin de scruter de plus en plus près, ce qui nous paraît encore et toujours si inatteignable.

De nos jours, les études astrales ne sont plus réalisées au sein de cet établissement. Il nous faut maintenant côtoyer des sommets, certes pas au point d’atteindre les étoiles, mais c’est bien depuis le Pic du Midi, à 2 877 m d’altitude, qu’une partie des travaux de l’observatoire astronomique de Midi-Pyrénées est menée. Sur cette photographie, issue du fonds du préhistorien Émile Cartailhac, il nous donne à voir le site à l’aube de ses premières années. On distingue à l’image, les bâtiments nouvellement conçus, depuis 1880, portant tous deux le nom des fondateurs : Charles du Bois de Nansouty et Célestin-Xavier Vaussenat. On remarque aussi l’absence de la coupole Baillaud, construite quelques années après, au tout début du XXe siècle, en 1908. Apparaît aussi sur ce cliché, un photographe, sur le point d’immortaliser ce moment historique, ou bien de capter l’admirable point de vue dont il est aussi spectateur.

[Marché aux puces de Saint-Sernin], années 1900. Pierre Henri Désiré Laffont – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 18Fi150.

Déballons !


octobre 2022
« Emballage » : nom masculin désignant, selon le Larousse, l’action d’emballer (le conditionnement, l’empaquetage) mais aussi le papier, le carton, la caisse, etc. ; bref, tout ce qui permet de réaliser cette action. Or, à l’heure du zéro déchet, du vrac, de la consigne... et de la lutte contre le gaspillage, nos emballages n’ont plus vraiment la cote. C’est pourquoi, en lieu et place, je vous propose un déballage mais un déballage « historique », préfigurant nos actuels vides-greniers : celui désordonné et, à même le sol, des marchands de fripes et vieilleries du marché de l’ Inquet.
Emblématique de Toulouse, ce marché de tradition ancienne a pris le nom d’ Inquet, « crochet » en occitan, pour désigner ce qui servait à fouiller la marchandise ou ce que le fripier utilisait pour suspendre ses vêtements. Il signifie également « hameçon », métaphore suggérant le fait d’attirer les chalands. Au début du 20 e siècle, comme en témoigne cette image, et depuis la fin du 19 e, ce marché aux puces était organisé chaque dimanche matin, autour de la basilique Saint-Sernin. Chiffonniers, pelharòts ou simples particuliers seront ensuite remplacés par des brocanteurs et antiquaires, et ce marché rythmera encore longtemps la vie des Toulousains.
Sur cette image, on en voit d’ailleurs flâner sous leurs ombrelles et canotiers devant l’ancienne Bourse du Travail. Mais que viennent-ils donc chercher ? « On se monte, on se meuble à l’ Inquet, racontait Paul Mesplé dans le Bulletin municipal du 1er janvier 1940. Certains y achètent leurs fauteuils, leur lit, leur bicyclette, leur auto même. On y trouve des alcoomètres, des revolvers, des bénitiers […]. J’y ai vu des titres de noblesse, des paquets de lettres d’amour. On y retrouve des souvenirs de famille, des portraits, des volumes dédicacés. On y sauve des épaves d’êtres qu’on a connus et estimés. » Des bienfaits parfois insoupçonnés de l’économie circulaire.
Rédaction du journal Vaincre, 1944-1945, Photographie N&B, 17 x 13 cm, Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi2231.

Fort en Thème


septembre 2022
Qui d’entre nous peut bien se vanter d’être un brillant « fort en thème » ? Élève assidu et étudiant très certainement exemplaire, Jean-Pierre Vernant fait bien partie de ces quelques rares érudits au parcours particulièrement fascinant. Né en 1914 dans une ville de région parisienne, Provins, il fréquente pour ses études les couloirs des lycées Carnot et Louis-le-Grand, puis ceux de la Sorbonne. Tout comme son grand frère Jacques, et seulement quelques années après lui, en 1937, il est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Penseur pluridisciplinaire, mêlant à la fois l’histoire, l’anthropologie ou la psychologie, c’est pour la pensée et les mythes de la Grèce antique qu’il se passionne. Il devient d’ailleurs une des figures majeures de l’hellénisme moderne. Passeur de savoirs, tout au long de sa carrière, il enseignera dans de nombreuses institutions prestigieuses : au CNRS, à l’Ecole pratique des Hautes-Études, ou encore au Collège de France.
Si son nom ne vous dit rien, et si vous êtes féru d’histoire plus contemporaine, peut-être connaissez-vous l’homme sous une toute autre identité. Universitaire et professeur talentueux, il s'illustre aussi au travers de ses engagements politiques. C'est sous le pseudonyme de "colonel Berthier" que ce fort en thème se mêle à l’histoire de Toulouse lors de l’invasion des forces allemandes dans la zone sud. Depuis 1940, il est professeur de philosophie au lycée Pierre-de-Fermat, et c’est là qu’il s’engage dans une lutte clandestine au sein de la Résistance. Il rejoint le mouvement Libération-Sud et devient responsable de l’Armée secrète dans le département. Devenu par la suite commandant des Forces Françaises de l’intérieur de Haute-Garonne, il œuvre avec ses compagnons à la libération de Toulouse, le 19 août 1944, sous les ordres du colonel Serge Ravanel.
En cherchant dans nos fonds, il vous sera possible de retrouver quelques photographies du dit personnage au curriculum vitae bien fourni (comme ici, , ou encore là). En grande majorité, elles sont prises par Jean Dieuzaide. Sur l’image illustrant ce billet, on le reconnaît à gauche de l’image, en pleine discussion avec un autre homme, devant eux sont disposés des caractères d’imprimerie en plomb pour la composition d’un journal. Prise dans les années 1944-1945, ils se trouvent au 57 rue de Bayard. A cette époque, cette adresse abritait les locaux du journal Vaincre, hebdomadaire publié de 1944 à 1945. En fouillant dans l’œuvre du même artiste, il vous est aussi possible de découvrir certains de ses reportages et images iconiques sur la Libération de Toulouse.
Les ménagères pillent un magasin d’alimentation, Toulouse, 15 septembre 1945, Jean Dieuzaide Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi2/772.

Hors-champ


juillet-août 2022
Aujourd’hui, parlons photographie, parlons cadrage. Tout bon photographe vous le dira, la manière de cadrer et de composer son image est quelque chose de particulièrement primordial quand on tente de s’adonner à cette pratique artistique. Et si, pour une fois, nous regardions non pas ce qui se passe à l’image, mais à l’inverse, ce qui en est absent, ce qui se trouve au-delà des quatre marges du cliché ? Mais comment, me diriez-vous ? Et c’est justement là toute la complexité de ce qu'on appelle le hors-champ. Si par définition, il représente ce qui échappe au champ de la capture, il n’en reste pas moins une part importante de la narration et de la composition. Particulièrement utilisé au cinéma, il séduit aussi les photographes. Il peut résulter d’un hasard, d’une maladresse, ou de manquement technique, mais aussi d’une réelle volonté esthétique, artistique, voire documentaire. Si on est attentif, une photographie peut être ponctuée d’indices permettant de nous éclairer davantage sur son contexte. Mais, parfois, au contraire, la volonté de l’artiste peut être tout autre : celle d’interroger, d’intriguer, de captiver, et de susciter l’imagination de son public.
Sur ce cliché pris par Jean Dieuzaide, rapidement on se questionne. Mais que peuvent-ils bien regarder, ces badauds rassemblés sur nos trottoirs toulousains ? et pourquoi se tiennent-ils donc les mains croisés derrière leur dos ? Alors, en tant que spectateur assidu, on s’attelle d’abord à regarder tous les moindres détails de l’image : l’état du trottoir, la position des mains, les ombres qui s’impriment sur les façades, les tenues du groupe d’hommes ; tant d’éléments qui nous permettront peut-être de comprendre ce qui peut bien se passer ce samedi-là. Au demeurant, ici, seul le titre « Les ménagères pillent un magasin d’alimentation, Toulouse 15 septembre 1945 », donné par son auteur, nous permet réellement de lever le voile sur le mystère. Entre-temps, les plus inventifs d’entre vous se seront peut-être déjà raconté une tout autre histoire. 
En piochant dans nos fonds, on peut d’ailleurs trouver une tout autre manière d’invoquer le hors champ : des scènes et personnages coupés par le cadre de l’image, des ombres mystérieuses, des reflets multiples dans des vitres, des miroirs, ou même des regards passionnés sur des sujets pourtant invisibles. 
Le mode d’emploi en main, vous avez maintenant le champ libre pour vous livrer, vous aussi, à ce périlleux exercice photographique. Peut-être même que, tout comme Jean Dieuzaide, vous y arriverez, et avec brio bien sûr. En tout cas, de mon côté, j’y vais de ce pas.
Le Pré de la Fadaise à Bourg Saint Bernard, 1964, Photographie N&B, 6 × 6 cm. André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi3001.

Au pré de la Fadaise


juin 2022
Quand André Cros réalise ce cliché, nous sommes en 1964, et comme chaque lundi de la Pentecôte et ce jusqu'à perpétuité, tout le village de Bourg-Saint-Bernard, petite commune du Lauraguais, célèbre la fête du pré de la Fadaise. Son origine remonte au temps de la Croisade des Albigeois, au XIII e siècle. En 1211, pendant le siège de Lavaur, mené par Simon de Montfort, des Bourguignons délivrent un des leurs, le fils unique d'une riche veuve. Cette dernière, en récompense, offre aux courageux habitants une grande fête populaire et équestre dans une prairie qui lui appartient.
Ainsi, depuis plus de 800 ans, en toutes circonstances, la cité de Bourg n'a jamais failli aux traditions. Elle se pare, encore et toujours, de son coutumier défilé de cavaliers et organise d'étonnantes fadaises dans le Pré.
Le maire, à cheval, en tête du cortège, ouvre le bal suivi de près par la foule. Des chars sont décorés de fleurs, des jeunes portent costumes et piques légendaires ornés de drapeaux. L’ensemble se dirige vers le « Prat Contrast », situé à 2,5 km au nord de la commune, dans la vallée du Girou. Et le tout en musique, aux notes de « l'air du Pré de la Fadaise ».
Mais c'est à l'orée du pré, qu'enfin, les festivités commencent. Les jeunes gens s'adonnent à la cueillette de Briza Media, appelée aussi « Herbe d’Amour », et en font des bouquets. Puis a lieu le fameux concours de portage, lors duquel, traditionnellement les garçons dévalent le champ tout en portant délicatement les filles. Mais évidemment, les rôles peuvent aussi s’inverser. L'après-midi se clôt par l'épique course à cheval. Le vainqueur, devenu Roi de la Fête, choisit la Bourguignonne qui sera sa reine (si, bien sûr, ce dernier ne se fait pas envoyer paître par la demoiselle). Et c'est alors l'heure pour la joyeuse cavalcade, escortée du nouveau couple, de regagner la place principale du village, pour y danser et festoyer jusqu'à la tombée de la nuit.
Maintenant, il vous faudra un peu de patience, et attendre l’année prochaine, si jamais vous souhaitez vous aussi participer à cette réjouissance folklorique. Et peut-être, qui sait, pourriez-vous, pour les plus chanceux d’entre vous, espérer trouver l'amour dans le pré.
Portrait d’Alphonse Delpont, 1952, huile sur toile, 57 x 50 cm. Arthur Finemann - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 20Fi/nc ; casquette et médaille, 1Obj/nc.

La toile et le chapeau


mai 2022

En février 2021, les archives ont fait l’acquisition d’un ensemble d’objets ayant appartenu à un ancien gardien de la prison Saint-Michel : une casquette brodée d’une étoile, une médaille et un diplôme délivré par l’administration pénitentiaire. Sans oublier la pièce maîtresse du lot : un étonnant portrait en buste dudit homme. Sur cette peinture, décorée d’un cadre blanc et doré, le surveillant est vêtu de son uniforme et coiffé de son couvre-chef réglementaire en feutre.
Mais l’aspect le plus intriguant de cette œuvre s’avère être la signature peinte en noir en bas à gauche, indiquant le nom de l’artiste et la date : Arthur Finemann, 1952. La légende familiale raconte que le portrait aurait été réalisé dans l’enceinte de la prison et par un des prisonniers. Après moult recherches, le verdict est tombé (sorti du chapeau), Arthur Finemann, était bel et bien un ancien détenu de la maison d’arrêt de Saint-Michel.
En juin 1951, convoqué par le tribunal militaire de Toulouse, il est condamné pour des crimes de guerre perpétrés lors de la Seconde Guerre mondiale. Ancien membre de la Gestapo à Rodez, il est jugé responsable du massacre de Sainte-Radegonde d’août 1944. Appelé le « Grand Luc », il hérite aussi du sinistre surnom de « terreur de l’Aveyron ». Après trois années d’emprisonnement à Toulouse, il quitte la France et finit par rejoindre son pays natal, l’Allemagne, pour y poursuivre son activité de peintre et de marchand d’art.

Il est vrai que le portrait lui-même présentait certaines caractéristiques, pour ne pas dire un air de famille - notamment en termes de pilosité - qui auraient pu nous donner des indications sur la personnalité de son auteur.

Expositions Toulouse, 1907, Chrysanthèmes. L. Ader - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Fi/nc/inv21951/4

Fécule


avril 2022

- « Rhaaa… mais c'est plus du grain là, c’est des patates ! »
Parmi les photographes qui ont travaillé en argentique, celles et ceux qui ont entendu ou prononcé cette phrase sont légion. On fait alors référence à l'aspect granuleux des films qui s'observe sur les émulsions très sensibles à la lumière, comme les 3200iso, ou, bien sûr, les pellicules de mauvaise qualité ou mal traitées. Ce qu'on ne sait pas toujours, même lorsqu'on est né au temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, c'est que la pomme de terre a réellement été utilisée en photographie.
En 1907, Louis Lumière met au point un nouveau procédé qui permet de restituer les couleurs sur une plaque de verre : l’autochrome.  À la couche de gélatino-bromure d'argent désormais traditionnelle, il adjoint une couche de fécule de pomme de terre dont les grains ont été teintés en rouge, vert et bleu. Oui, je sais "that rings a bell", ou "ça dit quelque chose", comme on dit par chez nous. En effet, il s’agit du principe de restitution des couleurs par synthèse additive, dont les écrans de télévision cathodiques (que les moins de 20 ans, etc.), par exemple, utilisent le principe. C’est-à-dire que ce sont de petits points lumineux, alignés de manière régulière, qui reçoivent une quantité de lumière différente et la renvoient sur la rétine, le cerveau se chargeant d’analyser le mélange et de traduire l’information. L’espace colorimétrique restitué est donc très dépendant des teintes utilisées pour colorer la fécule, ce qui explique les couleurs surprenantes que l’on observe sur ces autochromes, difficiles à numériser.
La photographie qui illustre cet article est tirée d’une boite de 4 plaques montrant l’atelier de photographie de L. Ader, en 1907 justement. Outre les instruments et objets mis en scène et qui feront l’objet d’une autre publication, ce bouquet de fleurs est parfait pour montrer un grossissement de cette couche de poussière organique (ci-dessous).

Le percepteur d’impôts Charles Chevillot (1891-1980) a travaillé au Sénégal et au Mali ; il fut affecté à Aspet à son retour en France, puis dans la Sarthe, avant de revenir à Toulouse pour sa retraite. Il a pratiqué la photographie en amateur tout au long de sa vie. Son fonds compte près de 900 photographies, dont 160 plaques stéréoscopiques autochromes, réalisées entre les années 1910 et les années 1930, en Afrique, dans les Pyrénées et à Toulouse. Elles offrent une vision colorée rare de scènes et paysages que les moins de 90 ans…
Pour résumer, les premiers enregistrements en couleur de la réalité ont été rendus possibles avec de la poussière de pomme de terre. C'est patatique !

Raoul Berthelé, Paul Descoings et M. Lamoureux devant un avion biplan M. Farman, Amiens, 1915. Raoul Berthelé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 49Fi169.

Descoings perdu


mars 2022
Paul Descoings, natif d’Angers et fils d’un général de l’Armée de terre, est mobilisé en tant que pilote au sein du premier groupe d’aviation durant la guerre 1914-1918. Il croise la route de Raoul Berthelé, officier d’approvisionnement et photographe amateur, sur un champ d’aviation, près d’Amiens, en 1915. Une amitié se noue. En résulte une cinquantaine de clichés réalisés par l’opérateur et représentant l’aviateur, que l’on peut trouver dans le fonds Berthelé-Faucher conservé dans nos collections.
A l’instar de son ami Raoul, Paul décède des suites d’une maladie contractée durant son service en 1920 et sera lui aussi honoré du statut de « Mort pour la France ». Son épouse, qui se remarie rapidement, n’entretient pas la mémoire du défunt, si bien que ses descendants perdent quasiment toutes traces de lui. Il aura fallu attendre plus d’un siècle, à l’occasion d’un travail mené par un enseignant et sa classe à Amiens, pour que le fil se renoue.
A la recherche d’informations sur la région amiénoise et plus particulièrement sur une manufacture installée à Saleux, Louis Teyssedou tombe, au fil du net, sur les images réalisées par Raoul Berthelé et consultables sur notre site. Explorant plus avant, il découvre la totalité du fonds et les nombreuses photographies figurant le chef-lieu de la Somme et ses environs. L’idée d’une valorisation via une exposition et la publication d’un ouvrage prend forme. Par lui contacté, notre service s’associe à sa démarche, d’autant que des projets de valorisation similaires avaient déjà été menés en 2008 (exposition « 1 guerre, 2 regards », et publication de Rémy Cazals, 1914-1918 : images de l'arriere-front. Raoul Berthelé, lieutenant et photographe, éditions Privat).
C’est grâce aux réseaux sociaux que M. Teyssedou parvient à entrer en contact avec le petit-fils et l’arrière-petite-fille de Paul Descoings. On peut imaginer leur émotion, lors de l’inauguration de l’exposition « La guerre de Raoul Berthelé » le 22 février dernier à l’espace Léo-Lagrange d’Amiens, à la découverte des photographies de leur aïeul perdu… et retrouvé. 
Portait d’une jeune femme, 1855, daguerréotype 1/4 plaque rehaussé de couleur, Franck & Furioux - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 17Fi43

Argent secret


février 2022
Dans chaque image, il y a un secret. Encore faut-il savoir le débusquer. C’est encore plus vrai pour le daguerréotype qui, de par son pelliculage d’argent poli,  tient à la fois du miroir et de la photographie. Laissons-nous donc entraîner de l’autre côté du miroir… c’est-à-dire au dos du cadre.  La jeune fille portraiturée, dont l’identité demeure secrète, y a écrit ces quelques mots : « J’ai posé le 16 juillet 1855 à l’âge de 23 ans. Franck Furioux peintre de Paris ». détail au dos du daguerréotype
Nous connaissons donc la date, l’âge du modèle et le nom de l’artiste. Ce dernier est qualifié de peintre, ce qui est assez courant dans les premiers temps de la photographie, établi à Paris, qui est un gage de qualité pour les premiers daguerréotypistes. Mais il y a un secret dans cette signature. Car il ne s’agit pas d’un seul homme, mais bien d’un duo qui créa un studio éphémère à Toulouse entre 1852 et 1855 au 61 rue de la Pomme : Franck & Furioux.
Du second nous ne savons pas grand-chose, hormis son activité professionnelle à Toulouse dans les années 1850. Quant au premier, c’est une autre histoire… en partie secrète. Car Franck est le pseudonyme de François Marie Louis Gabriel Gobinet de Villecholle. On imagine qu’il  a dû raccourcir quelque peu son nom pour des questions pratiques ou pour éviter au patronyme des seigneurs de Villecholle d’être associé à une profession jugée peu honorable en ces temps.
Mais il y a une autre raison. Orléaniste convaincu, le photographe parisien s’exila à Barcelone quand éclata la Révolution de 1848. Son retour progressif dans la France de Napoléon III, via Toulouse, s’est ainsi fait dans la plus grande discrétion, à tel point que les ouvrages de référence d’histoire de la photographie ne le mentionnait pas. Il a fallu attendre la publication du premier volume de l’Encyclopédie historique de la photographie à Toulouse. 1839-1914  de François Bordes en 2016 pour qu’il soit enfin documenté. Un secret de moins.
Toulouse, cathédrale Saint-Étienne, tuyauterie du positif de dos. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi_nc_Toulouse5186/4 (tirage issu de la série Les orgues), virage au sélénium

Viré


janvier 2022

Ce n’est pas ce que vous croyez. Il est vrai qu’un virage constitue un changement d’orientation, que le terme peut être pris à la lettre ou à la légère, même si un virage est souvent lourd de conséquences. Point de brutalité ici, restons délicats, comme les virages photographiques.
Le procédé consiste à « combiner le dépôt métallique (argentique donc) avec des métaux nobles comme l’or, le platine, ou des éléments comme le plomb, le sélénium, le souffre, etc. »1. Utilisé dès le 19e siècle pour améliorer la stabilité des tirages, cela permet également de donner une teinte (du jaune au brun, du bleu au rouge en passant par le pourpre) à des photographies monochromes. Si l’on peut pratiquer le virage sur la totalité du tirage il est également possible de se restreindre à certaines parties de l’image, mais cette technique n’est pas une colorisation pigmentaire et n’est pas considérée comme une retouche. 
Nous conservons peu de tirages virés aux Archives municipales. Le fonds Jean Dieuzaide en compte une trente-cinquaine, dont 8 sont actuellement exposés dans la rétrospective Jean Dieuzaide – 60 ans de photographie au réfectoire du Couvent des Jacobins. Parmi les autres, cette photographie issue de la très belle série Les orgues, initiée par une commande de l’État à l’occasion de l’Année du patrimoine en 1980.

 

1 Bertrand Lavedrine, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2007, p. 146.

Environs de Maguelone, Hérault. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/Herault447

Aide-toi


décembre 2021
… et le ciel t’aidera, poursuit l’adage. Sans doute, cela signifie qu’il faut d’abord chercher en soi-même les ressources pour atteindre les objectifs que l’on se fixe. Sans doute, Jean Dieuzaide était un gisement d’énergie à lui seul pour entreprendre autant et pour édifier une œuvre aussi riche que celle que nous présentons au réfectoire du Couvent des Jacobins. Connu pour les moustaches fleuries de Dali dans l’eau, pour le reflet de sa chemise blanche dans le regard limpide de la petite fille au lapin, ou pour le sourire éclatant de la gitane allaitant après la danse ; connu pour ses clichés du Concorde ou ceux de la libération de Toulouse ; connu pour son approche moderniste de l’art roman... Dieuzaide était aussi un militant et un précurseur, un explorateur qui allait au-delà de l’événement, du paysage, de la photographie. Ce Dieuzaide est à découvrir. Et sans doute, ce Dieuzaide va vous plaire.
L’exposition Jean Dieuzaide – 60 ans de photographie montre le travail d’un artiste et d’un artisan,  d’un entrepreneur, d’un voyageur, d’un reporter, d’un contemplatif, d’un homme engagé, fédérateur, porté par sa foi, ses convictions, et son travail. Autant de facettes pour celui qui a consacré sa vie à la Photographie, l’a érigée au rang de discipline artistique, et qui a œuvré pour qu’elle intègre les collections et fonds des institutions patrimoniales.
Courez découvrir cette œuvre magistrale et sensible exposée jusqu’au 6 mars 2022.
Pyrénées. Groupe d'hommes autour d'un cabanon. 1910-1920. Ludovic Gaurier – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 67Fi158.

Haches dans l'axe


novembre 2021
Ludovic Gaurier fut abbé. Il fut aussi photographe, poète, aquarelliste et pyrénéiste. Ses photographies sont souvent fascinantes, au point que, en découvrant celle-ci, notre billet a complètement changé d'orientation par rapport à l'idée de départ.
Cinq hommes posent en habits de travail devant un cabanon et des outils, dans un paysage montagneux non identifié précisément, pendant les années 1910. Pas de quoi hacher un chat (fouetter, hacher, quelle différence). Mais regardons de plus près les éléments de cette image construite sur un axe parallèle à la plaque de verre. Faites-vous plaisir, vous pouvez zoomer avec la molette.
La composition en strates superposées (le sol au premier plan, la rangée d'ouvriers aux bérets alignés et la crête de la butte) relègue les hommes dans une bande d'image scandée d'un mélange d'outils, de corps, de jambes, de bras et de perches comme autant de mâts hérissés devant un abri de fortune dissimulé sous des mottes d'herbes sèches. Avez-vous vu comme ils se ressemblent ? Appuyés sur un manche de hache ou de masse, et poing sur la hanche, ou bien assis main sur le genou, moustache discrète ou charnue, ils nous feraient parier sur un assemblage de pères, oncles, frères et fils. En sabots ou souliers cloutés, en habits rapiécés, gilets de velours troués, arborant un fusil ou les mains dans les poches, ils posent. Que font-ils ? Dans quelle tâche l'abbé Gaurier les a-t-il interrompus, le temps de se glisser sous la toile noire de sa chambre photographique et de figer quelques centièmes de seconde de vie sur le verre de sa plaque ? Si je n'avais pas une tonne de travail en train de me regarder d'un air louche sur le coin de mon bureau, je resterais bien à les observer comme ils m'observent depuis l'autre bout du siècle passé.
Mettre le prix du sable dans la boîte fixée à la grue. Reportages entre le pont Neuf et le pont Saint-Pierre. Toulouse, années 1960. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi69/202.

Patrimoines


octobre 2021
Si aujourd’hui on en couvre la prairie des Filtres l’été, le sable à Toulouse était surtout au fond de la Garonne, voire sur les péniches du canal du Midi. Témoin insatiable de l’évolution de sa ville, Jean Dieuzaide a photographié les abords des voies d’eaux à de très nombreuses reprises... en plus du reste !
Ce reste, ce sont près de soixante ans de photographie au cours desquels le photographe a marqué de son œil, gravé dans les sels d’argent, les richesses de la France et de l’Europe des Trente Glorieuses, avant de s’engager dans la lutte pour la reconnaissance de la photographie et des photographes. Ce reste, c’est la majeure partie de son fonds photographique, patrimoine toulousain conservé aux Archives municipales, recelant plus de 400 000 pièces, dont la mise en ligne progressive permet déjà de consulter près de 6000 images décrites individuellement.
Vous avez sans doute remarqué, en centre ville, des photographies en grand format sur l’espace public. Relayée sur le portail Urban-hist, cette exposition est l’un des événements que la ville rose consacre à Jean Dieuzaide à l’occasion du centenaire de sa naissance. Une rétrospective sera présentée à partir du mois de décembre au réfectoire des Jacobins, ainsi qu’un catalogue, un cycle de conférences et des projections audiovisuelles. Programme à venir...
Portrait d'un homme à la moustache et aux favoris dont le visage a été retouché. 1864-1865. Eugène Burgard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10484 (détail).

Retouche


septembre 2021
Transformer, lisser, rehausser, corriger des imperfections pour répondre à une attente non atteinte au premier chef : force est de constater que la retouche photographique, qui ne date pas de Photoshop, est bien visible dans nos fonds iconographiques. Sans surprise, les portraits sont les principales victimes des pinceaux rectifieurs. Il s'agit d'améliorer la représentation des personnes, voire de la ville, puisque nous avons une vue de Toulouse dans le lot. Sur ces deux tirages, on note la volonté de pallier les imperfections dues au matériel employé. Les contours du visage de l'homme sont soulignés, tout comme ceux des bâtiments. D'ailleurs, c'est revendiqué haut et fort, en cette seconde moitié du 19e siècle, le photographe est aussi peintre et « auteur de l'éclairage et de la retouche en photographie » (verso, vue n° 2). Pas étonnant, donc, de voir des miniatures franchement peinturlurées ! Sommes-nous ici en présence d'un essai, d'un pastiche, d'une démonstration, ou simplement du résultat de l'évolution de deux matériaux différents, l'émulsion photographique et les pigments de retouche ?
Autres supports, autres techniques, autres effets. On retouche le papier, certes, mais également le négatif. D'ailleurs, on retouche ce dernier d'abord. Cela permet de corriger une bonne fois pour toutes, notamment les visages. Regardez-moi ce grain de peau ! N'est-il pas digne d'une publicité pour crèmes rajeunissantes ou pour cosmétiques magiques ?
Terminons ce billet en revenant à nos préoccupations archivistiques. Tout élément ajouté à un document, quel qu'il soit mais particulièrement iconographique, est une altération et présente le risque d'évoluer différemment de son support. C'est une des raisons pour lesquelles les restaurations doivent être réversibles. Aujourd'hui, elles sont réalisées à l'aquarelle mais les photographies que nous conservons ont la plupart du temps été retouchées par leurs producteurs dans un souci de durabilité, avec des pigments, des encres, du gris film etc.
Vue prise des toits de la cathédrale Saint-Étienne (circa 1900). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2459, fonds des Toulousains de Toulouse.

Rêver à Toulouse – Ô toi


juillet-août 2021

Ceci est une déclaration. Une déclaration à Toulouse, ma ville natale, que j’aime tant. 
Quelle vue le photographe nous en donne-t-il là ! Lui qui s’est péniblement hissé à l’aide d’un comparse, avec son appareil et ses plaques de verre, sur le toit de la cathédrale Saint-Étienne. Il a l’air de faire si chaud ce jour-là. Des canotiers les protègent du soleil de plomb. Sous leurs yeux ébahis, la ville comme elle s’offre rarement au regard et sur laquelle semble flotter comme un air de vacances et de dolce vita. Toulouse n’est-t-elle pas d’ailleurs célébrée – depuis Stendhal et Henry James – pour son allure italienne ?

Les silhouettes des Augustins et des Jacobins comme les coupoles du Grand Hôtel ou de La Grave nous ramènent cependant à Toulouse. Et cette image, empreinte de douceur, est une invite à la découvrir autrement. « Si vous voulez flâner à travers Toulouse, conseillait Pierre Cabanne, ne prenez pas de guide, empruntez le lacis de rues caillouteuses et fraîches qui part de la place Saint-Étienne… le long des demeures des parlementaires, des nobles, des parvenus ou des marchands, regardez les façades, levez le nez sur les porches, entrez dans les cours, montez les escaliers… et, si vous le pouvez, grimpez sur les toits et rêvez. C’est la chose la plus agréable du monde que rêver à Toulouse1. » 

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1 Pierre Cabanne, Toulouse (Paris : Éditions du Temps, 1963, coll. « Lieu-dit »).

Scènes composées : spectacle de magie (fin 19e). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 46Fi1375.

Magie et... photographie


juin 2021

La magie aujourd'hui a la cote. Et pas seulement dans cette Lettre consacrée à l'attribut du magicien ! Alors que se tient l'exposition « Magies et Sorcelleries » au Muséum de Toulouse, me revient en mémoire un beau livre sur lequel, dans une autre vie professionnelle, j'ai travaillé : le catalogue d'une exposition sur la photographie spirite, organisée par le Metropolitan Museum (New York) et la Maison européenne de la Photographie (Paris), retraçant les liens entre sciences occultes et photographie1. Au fil de l'édition de l'ouvrage, je découvrais stupéfaite des clichés aussi étranges que fascinants. Transes, lévitations, visions fantomatiques, apparitions de fées (!), médiums faisant surgir de leurs corps de mystérieux ectoplasmes... Autant de manifestations de l'invisible que les photographes avaient réussi – avec plus ou moins de bonheur et souvent de trucages, diront les plus sceptiques – à capter. Sur cette image, point de médium en transe ni de tables qui tournent, mais un illusionniste, avec ses accessoires, proposant ses tours de magie à un public qui lui semble acquis.
Si la photographie entend documenter le réel dans toute sa matérialité, ses liens avec l'occulte sont plus nombreux qu'il n'y paraît. Les daguerréotypes n'avaient-ils pas, selon Walter Benjamin, le pouvoir de capturer l'aura ? Et de saisir cet inconscient optique qui échappe à notre regard ? « La nature qui parle à l'appareil photographique, écrivait-il, diffère de celle qui s'adresse à l'oeil »2... De même, la vision en relief de cette image stéréoscopique colorisée ne relevait-elle pas du tour de magie pour ceux qui, à la fin du 19e, la découvraient ? Et que dire enfin de ce médium qu'est la photographie qui permet, comme d'un coup de baguette, de nier l'espace et remonter le temps, nous mettant en présence de contrées lointaines et d'êtres disparus ou absents ?


1. Le Troisième œil : la photographie et l'occulte, Denis Canguilhem, Clément Chéroux et Pierre Apraxine (Paris, Gallimard, 2004).
2. Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin (Paris, Allia, 2012).

M. Escudier gardien de musée gagnant de la Loterie Nationale (1952). André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi4923.

Gains


mai 2021
Le bonheur ne tiendrait qu’à un fil et pas à l’argent. Il peut aussi, semble-t-il, tenir à une boule. Que la vie nous secoue comme une lessiveuse, qu’elle nous ratatine comme un rouleau compresseur, qu’elle passe comme un boulet de canon, il arrive aussi qu’elle nous emporte sans prévenir dans un tourbillon grisant. Et la métaphore est encore circulaire, voire sphérique.
C’est fou comme une petite balle peut influer sur la perception de la vie. Une petite balle et un numéro. Signe arbitraire dessiné sur une surface. Quel vertige d’imaginer que, sur la colossale masse de la Terre, en 1952, dans la tête d’épingle qu’est Toulouse, un homme, dont la fonction est de veiller à la sécurité et à l’intégrité d’œuvres produites par d’autres hommes dans un passé plus ou moins lointain, a soudain changé de point de vue sur sa vie. L’espace d’un souffle son cerveau a reçu une stimulation qui a propulsé l’ensemble de ses tracas dans les profondeurs de son inconscient tout en faisant sauter les verrous de l’impossible que sa condition de veilleur d’œuvres lui imposait. Oui aux nouveaux costumes, oui aux mets raffinés, aux vins étourdissants et veloutés, oui à la voiture rutilante, oui à la maison confortable, oui aux voyages lointains. Et, oui à l’humain ?
Tant que la boule hésite, le rêve est en suspens pour l’éternité. Dès qu’elle tombe, elle frappe sa victime en pleine évasion et lui colle ses chimères sur le dos. Alors, insidieusement, celles-ci remplacent les songes par des châteaux et le gagnant, qui  pensait posséder la fortune au creux de sa main, y perd son innocence avec ses illusions.
Chantier avenue Marcel-Langer. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10195.

Le grand absent


avril 2021

Qu’il s’agisse du cachet de la poste sur une carte postale, de celui d’un photographe, d’un organe de presse ou d’une administration au dos d’une photographie, le tampon est ce qui peut permettre de dater l’image, d’en révéler l’histoire, parfois la raison d’être mais surtout la provenance. Simple tampon au verso ou timbre sec apposé à même le cliché (cf. notre illustration), il reste un outil de choix qui nous renseigne sur l’auteur et les droits d’utilisation de l’image. Plus souvent qu’on ne croit, le tampon reste pourtant le grand absent des photographies que nous traitons, nous privant d’informations essentielles et transformant celles-ci en « images muettes », selon le mot de Semprun.

Comment savoir alors quel regard se cache derrière ces photographies ? Il est ainsi assez fréquent – ce qui rend notre métier encore plus exaltant – que nous menions un véritable travail d’enquête pour remonter, d’indices en indices, jusqu’à leur auteur. Des investigations parfois longues, minutieuses, pouvant aboutir à des résultats que l’on n’espérait pas !

Ainsi d’une série de 1300 plaques de verre documentant la vie toulousaine dans les années 1900-1920, mais aussi des opérations militaires menées en Afrique du Nord, notamment au Maroc, avant l’établissement du protectorat français. Des documents conservés dans nos fonds depuis plusieurs années et dont l’auteur demeurait une énigme. Aidés d’un petit carnet de notes – souvent sibyllin – attribué au photographe qui n’y livrait jamais son identité, d’une occurrence d’un nom de famille qui s’est avéré être celui de la femme qu’il avait épousée, ce n’est pas sans émotion que nous avons réussi, en épluchant les actes d’état civil, à retrouver notre homme. Ces photographies avaient maintenant un auteur dont nous connaissions désormais, grâce à l’acte de naissance et au matricule militaire de ce dernier, les grandes dates de la vie. Et quelle ne fut pas notre surprise de tomber un jour par hasard, en salle de lecture, sur l’arrière-petit-fils de ce dernier auquel nous avons eu la joie de faire découvrir ces clichés !

Fin 19e siècle. Portrait en pied d'un bébé, il porte une robe blanche et est assis dans un nid. Au dos : "Henry Delgay. Toulouse. 42, allées Lafayette". Henri Delgay – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi2151.

Choupinette


mars 2021

Un enfant dans un nid : pourquoi pas dans un chou ou une rose, tant qu’on y est ! Celui-ci est en robe de baptême ; ne lui manque qu’un ruban sur le crâne, et nous voilà avec un bel œuf pascal. Songez-y, parents, cette pauvre diablesse n’a rien demandé, et la voici pour la postérité, posant, le regard incrédule, mains sur les hanches et doigts de pieds en éventail. Ce bébé-là est habillé, mais à cet âge ils sont souvent représentés nus, ce qui est le cas depuis au moins le Moyen Âge si vous regardez bien. Il faut donc concevoir la nudité comme une incarnation* de la pureté, de la naïveté ou de innocence. Soit. Mais les choux, nids et autres rosiers, de quoi sont-ils l’expression ?

*Cet enfant n’est pas nu et je lui ai attribué le terme d’incarnation. Le coussin dans lequel il est calé forme deux petites ailes derrière lui, qui font de lui un ange. C’est une référence à l’Annonciation, qui, dès l’iconographie médiévale, marque l’incarnation divine.

Les Foires de Mai aux allées Jean-Jaurès, anciennement Lafayette (1937). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1318.

Faites vos jeux !


février 2021

Et si l’on poussait nos sens jusqu’à l’étourdissement, jusqu’au vertige ? Et si l’on s’évadait, le temps d’un billet, sur les allées Jean-Jaurès quand elles s’appelaient presque encore « Lafayette » et que s’y déroulaient, chaque année, les populaires « Foires de Mai »… ?

C’est à une immersion totale et joyeuse dans une fête foraine bruyante, odorante, colorée, que je vous invite. Vous aussi êtes en manque de sensations fortes, de sourires et de promiscuité ?  Saisissez cette occasion de vous mêler un instant – du moins en pensée – aux visiteurs arpentant les allées. Que leur flot vous emporte et vous grise ! Entendez-vous le grondement de la foule ? Et cet air entraînant et désuet que jouent, à pleins poumons, les cuivres de la fanfare voisine ? A côté, c’est une autre musique : celle du rugissement des tigres de la ménagerie Pezon, dont se dégage une forte odeur de cuir... Vous y êtes ?

Un peu plus loin, après le coin des lutteurs et les baraques des marchands de bibelots, les magiciens font concurrence aux cartomanciennes et autres vendeuses d’espérance. Puis, ce sont les manèges et leur promesse de tourbillon vertigineux. Que ne laissez-vous transporter et découvrir le monde – sinon Toulouse – à l’envers, à bord d’un wagon lancé sur les montagnes russes ? Ne manquez pas non plus la fameuse roulette et autres jeux de hasard. Tout est prétexte pour tenter sa chance. Alors faites vos jeux !

Spectacle de danse au Théâtre du Capitole, 1965. Fonds André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi5095

Envol


janvier 2021
Les douze coups de minuit passés, nous nous sommes engouffrés dans une nouvelle année. Tels des danseurs, nous avons pris un envol, pleins d’espoirs, vers un futur pour le moins incertain. Corps planants quelques temps dans les courants descendants du couvre-feu, virevoltes acrobatiques entre l’ouverture de la salle de lecture et le télétravail des équipes... quand pourrons-nous retomber sur nos pieds ?
Et même, en tant qu’individus, quels choix ferons-nous, quelle direction donner à nos pas, à nos résolutions, à nos désirs ? Si vous êtes perdues, si vous souhaitez trouver des réponses aux questions les plus épineuses de votre vie de chercheuse, de toulousaine ou de curieuse (déclinez au masculin si besoin), rendez-vous sur notre base de données au chapitre «  Images » et explorez-donc ! Plusieurs modes de recherche permettent d’affiner les résultats, en sélectionnant un fonds spécifique par exemple, ou via l’accès typologique et thématique. Libre à vous de vous y lancer à corps perdu, telle cette danseuse lors d’un gala au théâtre du Capitole. D’ailleurs, pour voir qui était convié à cette représentation, il suffit d’utiliser le mode avancé, de renseigner « gala » dans le champ titre et « Cros » dans celui de l’ auteur, puis de visualiser les vignettes.
La Baie de Naples et le Vésuve. Eugène Trutat – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 58Fi87.

« Voir Naples et... »


décembre 2020

Notre lettre est donc ce mois-ci consacrée au « soupir ». Superbe occasion, me suis-je dit, d’évoquer Venise – à laquelle je suis aimantée – et son pont fameux. Une opportunité, ai-je pensé, de faire (re)découvrir à nos lecteurs les belles photographies sur plaques de verre réalisées par Eugène Trutat et ses confrères de la Société de Géographie de Toulouse lors de leur périple en Italie dans les années 1880-90. Et de conclure ce billet par une citation s’apparentant à un soupir : "Voir Venise et mourir"... L’affaire était dans le sac !

Or, après vérification… il s’avère que ce ne sont pas les charmes de la cité des Doges qui ont inspiré à Goethe cette citation. Loin s’en faut ! Le poète ayant été subjugué, comme il l’écrit dans son Voyage en Italie, par les magnificences de… Naples.

Me voilà donc partie pour rédiger cet article avec, pour seuls bagages, une citation et un soupir ! « Voir Naples et mourir ». Changement de cap, donc ! Quittons les canaux de la mystérieuse et brumeuse Venise pour la lumière de la Campanie. A nous l’Italie du Sud, ses routes escarpées, la côte Amalfitaine qui n’est que poème, les ruines de Pompéi et le Vésuve dont la cime enveloppée de nuages surplombe le golfe de Naples. Cela ne tombe pas si mal, me direz-vous : Eugène Trutat et ses amis géographes nous ont laissé des souvenirs enchanteurs de leur séjour là-bas. Un album-photo que les voyageurs, désormais immobiles, peuvent consulter en un clic, sans sortir de chez eux.

Portrait en pied, debout, de 3/4, devant un décor peint, d'un artiste vêtu de son costume de scène composé d'un pourpoint orné d'une fraise, d'une cape et d'un chapeau. Eugène Merlin – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 3Fi1505.

Pourpoint


novembre 2020

Un pourpoint, une cape, une barbiche, des bas, des souliers, des froufrous, une fraise, un chapeau à panache, des gants : le costume est riche, et renvoie au 16e siècle. L’artiste, dans une attitude presque bouffonne, soigne son image. Mais quoi d’autre ? Nous avons peu d’informations : une notice descriptive, la numérisation du recto et celle du verso.

La photographie est collée sur un carton orné d’un cadre. Ce décor compte plusieurs motifs en référence à la musique, qui ne sont autres que les attributs des muses de la poésie et de la danse. Sans chercher très loin, on peut supposer qu’Eugène Merlin, qui comptait des artistes dans sa clientèle, avait aussi de quoi présenter ses travaux. Nous avons trois portraits de petit format montrant trois personnages dans le même studio à décor peint, mis en évidence sur un carton avec cadre, destiné lui-même à être encadré. Quelle mise en abîme !

Jeune femme assise sur une banquette, accoudée. Toulouse, vers 1900. Cliché Delon-Moreau – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10589.

De la délicatesse


octobre 2020

Il est des détails qui peuvent passer inaperçus ou que l’on croit insignifiants. Et pourtant… 

Quand on examine un portrait ancien conservé dans les fonds, on regarde généralement le tampon du photographe, l’arrière-plan et son décor, la tenue vestimentaire ou encore la coiffure du personnage. Autant d’indices qui vont nous aider à dater l’image, à la contextualiser et à la faire parler. Or, à se concentrer sur ces seuls éléments, on peut manquer l’essentiel : un geste, un regard, une posture, qui pourtant nous font signe(s). Jeune femme assise sur une banquette, accoudée. Toulouse, vers 1900. Cliché Delon-Moreau – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10589.

Ainsi du geste, tout en délicatesse, de cette jeune femme posant dans le studio d’un photographe toulousain. Elle est assise, accoudée à une banquette, la main – à première vue – nonchalamment posée sur le dossier. A y regarder de plus près, il n’en est rien. Approchez-vous. Aiguisez votre regard. Voyez cet avant-bras et la texture de la peau. Percevez-vous, dans cet instantané, comme un frémissement – savant mélange de tension et d’abandon, d’appréhension et de confiance devant l’objectif du photographe ?

« Rien de ce qui semble furtif n'est négligeable car il révèle ce souffle de l'air qui entourait ceux qui nous ont précédés et qui nous effleurent encore » témoigne l’historienne Arlette Farge citant Walter Benjamin, qu’elle apprécie tant. Pour elle, certaines photographies sont une « forme de vibration ». Alors que l’histoire officielle passe sous silence les singularités, ces photographies de l’intime exhument les personnages invisibles et les âmes oubliées.

Grève SNCF voyageur seul. Dans les environs de Toulouse. Le 23 octobre 1963. Vue d'un voyageur avec sa valise marchant seul sur la voie ferrée dans les environs de Toulouse. André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi3142.

Gare


septembre 2020

Le monde se partage en deux catégories de personnes : celles qui aiment le mois de septembre et celles qui ne l'aiment pas. Toutes les raisons sont valables, quel que soit le groupe dans lequel on se trouve. On peut déplorer la fin des vacances ou apprécier que leur interminable longueur ait enfin trouvé un terme. On peut se réjouir de retrouver les camarades de classe, les enseignants, les collègues, les entraînements de rugby, de porter enfin ces jolis vêtements neufs mais un peu trop épais pour le mois d'août, ou pas. Les bouchons se reforment gentiment sur des axes trop fréquentés, ce qui conduit à des décisions fracassantes : « puisque c'est comme ça, je vais prendre les transports en commun ! ».
Eh bien, il était temps. Cette possibilité est offerte aux toulousains depuis le milieu du 19e siècle, lorsque la ligne de chemin de fer ralliant Bordeaux et poursuivant vers Sète dépose ses paquets de voyageurs, leurs valises, malles, mallettes et boîtes à chapeaux dans le quartier Matabiau. Le réseau de tramways d'alors, conçu pour convoyer les voyageurs entre les différents quartiers de la ville et le chemin de fer, est très bien représenté sur le portail UrbanHist, avec ses 4 lignes au départ de la gare. Vous apprendrez notamment que celle-ci est agrandie tout juste 50 ans après son inauguration. Des plans indiquent l'emplacement prévu pour les consignes à bagages, ce qui vous permettait de laisser votre bagagerie sur place le temps de faire un tour en fiacre pour rapporter quelques souvenirs, puis de repartir fissa : direction l'étang de Thau, le port de Sète, les tielles et le muscat. Parce que oui, il y a d'autres avantages au mois de septembre : celui de partir en congés sans emporter la foule dans son balluchon, les familles bruyantes, les bambins criants, les voisins de plage envahissants, et autres désagréments pour juillettistes et aoûtiens.
Quant aux joies de la circulation à la rentrée, certains semblent leur avoir trouvé une parade : marcher sur les voies, mallette en main. Il n'est pas certain que ce soit efficace, ni confortable, ni sûr.

[Pyrénées. Campement au bord d'un lac]. Ludovic Gaurier – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 67Fi141.

« Là, tout n'est qu'ordre et beauté… »


juillet-août 2020

Parfaite illustration du vers de Baudelaire, cette photographie des années 1910-1920 est une invitation au voyage. Un voyage aux Pyrénées. Celui-là même qu'a entrepris Ludovic Gaurier né à Bayon-sur-Gironde en 1875, descendant d'une longue lignée de marins, entré dans les ordres avant de devenir professeur de sciences naturelles. Alors qu'il n'a pas 30 ans, la surdité le frappe et l'isole : il s'installe alors à Pau et décide de consacrer son temps aux Pyrénées qui le fascinent depuis l'adolescence. A lui, désormais, les grandes explorations solitaires – le surnom d'« ours » lui est attribué –, l'ascension des sommets, l'étude des glaciers, la limnologie… 

C'est d'ailleurs sur les rives d'un lac pyrénéen que l'abbé Gaurier a installé ici son campement, réduit à l'essentiel : deux simples tentes de toile. Juste à côté, les mains posées sur les hanches, un chapeau vissé sur la tête, un homme contemple ce paysage grandiose. S'agit-il de notre pyrénéiste communiant avec cette nature ordonnée ?

Dans son journal, celui-ci relate une nuit d'été passée au clair de lune, au bord d'un lac de montagne. Un éblouissement que je vous partage, en vous souhaitant de bonnes vacances : « Décidément, il fait trop chaud dans mon sac en peau de mouton... Si j'allais faire un tour de canot ?... Quelle nuit magnifique !... Calme complet. Je détache le bateau et me voilà parti sur le lac. La lune à droite du petit Pic se reflète d'une rive à l'autre. Je nage dans la lumière et chaque coup de rame soulève des paillettes d'argent… Longtemps, je vogue ainsi, goûtant avec ivresse le calme divin de cette nuit. » Ordre, calme et beauté.

Gare Matabiau, quai et voie. 4 octobre 1899. Vue d'ensemble d'une locomotive à vapeur en gare. Eugène Trutat – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi13

Souffler


juin 2020

Le doux verbe, dont la seule pensée alimente chez moi des rêves d'autre-part ! Souffler, partir loin, à plus de 100 km, plus loin que la station spatiale internationale, pour plus longtemps que 55 jours, sans masque d'où les sourires ne peuvent plus jaillir que d'yeux, ni mètre, sans télé, sans travail, sans injonctions à la rentabilité du vide, sans école et sans maison. Partir juste dans un grand jardin ensoleillé, à bicyclette avec la liberté sur le porte-bagages. Soyons patients, ce sera pour bientôt. Nous retrouverons peut-être la même émotion qu'Eugène sur le quai de la gare Matabiau devant la fière mécanique fumante prête à l'embarquer vers les flots sétois en un éternuement !
Si nous ne pouvons attendre, il reste une solution : le visio-dépaysement. Cela consiste à se rendre sur une base de données bien garnie d'images, comme celle des Archives municipales, et à y entrer ses propres invites à la rêverie.

Les Jeux Floraux, la Fête des Fleurs (1936). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1084.

Dans les pas du poète


mai 2020

Nous sommes en mai 1936. Et, comme chaque année depuis des siècles, l'Académie des Jeux Floraux célèbre sa « fête des Fleurs ». L'éloge de Clémence Isaure, figure inspiratrice mystérieuse, ayant été prononcé en salle des Illustres, une délégation de membres de la plus ancienne société savante d'Europe se rend à la Daurade. Les fleurs d'orfèvrerie désormais bénites, il n'y a pas de temps à perdre.
C'est à pied et à un rythme soutenu – en témoignent les visages un peu flous saisis au premier plan – que les « mainteneurs », comme il est d'usage de les appeler, quittent la basilique, leurs fleurs de poésie en main. Après une halte à l'hôtel d'Assézat où la société a établi son siège, ils sont attendus au Capitole pour remettre aux lauréats du concours poétique leurs récompenses.
En 1819, c'est à un poète naissant – le jeune Victor Hugo, âgé de 17 ans – que l'Académie décerna, lors de ce même concours qui l'opposait à Lamartine, la plus haute distinction qui soit. Son « Ôde pour le rétablissement de la statue d'Henri IV » déchaîna, paraît-il, l'enthousiasme quand elle fut déclamée dans les salons du Capitole : elle méritait bien un Lys d'or ! Les années passant, Hugo n'oublia pas l'Académie des Jeux Floraux qui, la première, sut reconnaître et encourager son talent. Ces quelques vers extraits de son recueil, Les Feuilles d'automne, se font l'écho de ce passage toulousain : « Toulouse la romaine où dans des jours meilleurs, j'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs ».

Immeuble situé 2 rue de Metz abritant le « Parfait Jardinier », commerce de graines et de fleurs, 1949. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi5452.

Eclore !


avril 2020

Ceci n'est pas une injonction, seulement un titre – choisi avec soin – pour désigner cet article. Et il est de saison ! Que nous donne à voir cette image prise en 1949, peut-être un jour de printemps ? Une devanture de magasin, celle du « Parfait jardinier », institution toulousaine proposant depuis près de 150 ans aujourd'hui, aux numéros 2 puis 16 de la rue de Metz, des graines potagères, fourragères et de fleurs.
Difficile me direz-vous, en cette période de confinement, de se procurer fleurs et semences pour vaquer insouciant à sa passion du jardinage. Détrompez-vous…
Ce temps particulier, pour le moins distendu, n'offre-il pas l'occasion de cultiver d'autres jardins, cette fois intérieurs ? Ne peut-on transcender ce printemps confiné pour faire éclore, en « parfaits jardiniers », une créativité, des dons ou des ressources qui ne cherchent qu'à s'exprimer ? C'est à une éclosion de ce genre que je viens d'assister admirative, dans mon service : plusieurs de mes collègues et néanmoins amis s'étant portés volontaires pour prêter main-forte au personnel des centres médicaux avancés mis en place par la ville. Une action solidaire parmi tant d'autres qui me fait dire qu'en 2020, les qualités humaines font aussi le printemps !

La Défense de Toulouse contre les inondations (1937). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi23.

Variations autour des piles du pont... neuf


mars 2020

Cette photographie ancienne sur plaque de verre exerce sur moi un pouvoir mystérieux. Elle capte mon regard, retient mon attention. Pourquoi certaines images nous aimantent-elles autant ? 
Est-ce dû à leur sujet – à un événement, un visage, une attitude qui nous interpellent, à un endroit qui nous est familier ou que l'on affectionne ? Ou cela tient-il à des considérations esthétiques de forme : à une lumière, un contraste, une composition particulièrement léchée ? 
Sur ce cliché, tout y est – ou presque. Une combinaison parfaite de fond et de forme. La forme d'abord : la prise de vue, en plongée, d'un chantier sur la Garonne qu'encadrent élégamment, au premier plan, le muret du Cours Dillon et, à l'arrière, le tablier et les arches du Pont-Neuf. Le sujet ensuite. Nous sommes en été 1937 et, conséquence des récentes crues, d'importants travaux sont engagés pour défendre Toulouse contre les inondations et renforcer les piles du pont. 
En contrebas, des ouvriers s'affairent sur une machine noire aux cheminées fumantes : la sonnette, chargée d'enfoncer les palplanches qui isoleront les piles le temps des travaux. A l'arrière-plan, dissimulés derrière un nuage de fumée, le pont et ses arches revêtent un aspect étrange.
J'aime l'atmosphère qui se dégage de ce cliché. Et peu importent, en définitive, les considérations de fond et de forme, tant que les images continuent ainsi de happer notre regard. 

Bâtiment des Archives municipales de Toulouse (2016), magasin 12. Stéphanie Renard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num13/46

Récoleurs


février 2020

En ce moment, aux AMT*, il se passe de drôles de choses. L'équipe au quasi grand complet, c'est-à-dire 24 personnes (car il y a tout de même quelques exemptions), s'adonne aux joies du récolement.
- Mais qu'est-ce donc, mon cher ?
- Nous comptons, ma mie !
- Vous comptez, j'en suis fort aise ! (Ainsi donc chez ces gens-là on compte …qui l'eût cru, moi qui pensais qu'on s'y abîmait les yeux sur de vieux parchemins poussiéreux !)
- Absolument. Nous comptons ce que nous avons dans nos fonds. Un mètre ruban dans une main, un ordinateur dans l'autre, nous mesurons les boîtes, nous contrôlons, comme des fourmis, centimètre après centimètre, les près de 18 km de rayonnages (du Capitole à Montastruc en ligne droite). Et croyez-moi, des documents, il y en a tant et tant ! C'est un vertige de cotes, une danse de numéros sur des tableaux, des croix dans des cases, des heures dans un magasin réfrigéré à scander des incantations de lettres insensées, à chanter des successions de phrases sans verbe, une poésie de chiffres à vous faire prendre des lignes de code pour du Rimbaud. Et tout ça pour quoi ? Je vous le donne en mille, ma mie !

 


- Je suis toute ouïe, très cher.
- C'est réglementaire. Oui, c'est obligatoire. Une municipalité se doit de faire le compte de ses collections tous les six ans : ce qui est entré, ce qu'il y a, ce qu'il manque.
- Vous m'en direz tant !
- N'est-ce pas. Alors oui, ces temps-ci, on récole.

*Archives municipales de Toulouse, pour les intimes.

Th. Raynaud, représentant de fabriques. "34, route de Castres, 34. Toulouse". Vers 1910. Personnage en pied tenant un pot de chambre qui porte l'inscription: "En désirez-vous?". Carte postale publicitaire. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi6171.

Curieux


janvier 2020

Si vous avez été éduqués par ma mère ou ma grand-mère, vous connaissez sûrement l'expression « curieux comme un pot de chambre ». Si, comme je le soupçonne, vous avez grandi dans d'autres maisons, peut-être que la sonorité de cette phrase est nouvelle. Dans tous les cas, nous nous accorderons pour qualifier cette image de truculente. Inutile de poursuivre un master en histoire de l'art pour analyser l'iconographie : on comprend bien le propos.


Maintenant, imaginer qu'un homme, sûrement un soir de réveillon, s'est échauffé : « Moi, Môssieur, je peux tout vendre, et je le prouverai ! », puis le lendemain est allé trouver un photographe, lui a exposé son projet, et est revenu tirer les rois, brandissant fièrement sa nouvelle carte postale publicitaire, pourquoi pas ? C'est d'ailleurs forcément ce qui s'est passé. Mais je suis sceptique sur l'efficacité du résultat. Je serais même curieuse de savoir si les clients du sieur Raynaud ont apprécié.

 

Antoinette et Annette, années 1900. Pierre Henri Désiré Laffont – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 18Fi49.

Là !


décembre 2019
Mais à quoi ou à qui peut bien songer Toinette ainsi assise dans sa salle à manger, au coin de la cheminée dans laquelle un feu semble crépiter ? Le regard dans le vague et le poing droit (étrangement) fermé, elle est perdue dans ses pensées alors que sa petite fille, épuisée de fatigue ou de fièvre, s'est assoupie sur ses genoux. Une image de lassitude.

S'inquiète-t-elle de la santé de la jeune Annette, souffrante ? En a-t-elle assez de prendre la pose pour son photographe de mari, Pierre Henri Désiré, qui occupe un poste de rédacteur breveté à la direction des Postes et Télégraphes et qu'elle a épousé il y a quelques années ? Ou est-elle seulement lasse à l'approche des fêtes de fin d'année et de leur éternel retour ? S'interroge-t-elle – elle aussi – sur la composition du menu de Noël, sur le nombre d'invités ou même sur le plan de table ? Las… !

La vie est une fête, Toinette, et les événements festifs à venir dans la prochaine quinzaine ne pourront que le démontrer. Là !
Départ de la course rue du Moulin du Château. Toulouse 1910. Vue d'ensemble des concurrents avant le départ d'une course cycliste donné depuis la rue du Moulin-du-Château. L'un des concurrents s'appelle Jacques Leufroy. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi48.

Je mets les bouts


novembre 2019

J'enfourche, relève avec énergie la pédale avec le bout de mon pied droit puis pose sa pointe sur la petite plateforme mobile. J'aime la sensation que ce geste produit, il me galvanise. Je suis prête. J'attends de faire enfin tourner la transmission, de me balancer de tout mon poids sur une jambe puis sur l'autre. J'emmagasine l'adrénaline ; dès le coup de feu, je me jetterai avec elle et avec puissance sur mon guidon, le dos plat, le buste au-dessus de la roue avant. La vision en tunnel, je fixe déjà mon point de fuite, droit devant. Au bout de la première ligne droite, quand les autres prendront le virage, je prendrai la poudre d'escampette, et à moi la liberté ! Finie la course, vive les vacances, un bout de saucisson par ci, un grand bol d'air par là, je me poserai sur un bout de gazon et compterai fleurette aux coccinelles en regardant les nuages, les oreilles bercées par les grillons et chatouillées par les bourdons butinant leur trèfle.


Pas sûr que ces fiers cyclistes aient eu de telles pensées, ils ont l'air plutôt ravi, prêts à lancer leurs jambes droites par-dessus leurs selles comme dans un ballet classique, à virevolter de part et d'autre de leurs montures en poussant leurs corps au-devant des gravillons, un sourire à bouffer du moustique en travers de leurs gueules d'anges. Mais au bout du compte, pour eux comme pour moi, l'important est de prendre du bon temps et de revenir contents.

[13-14 juillet] 1949. Cyclisme. Jour de repos Tour de France. Boulodrome à Toulouse. Vue de quatre hommes verre à la main ; de gauche à droite : les cyclistes René Vietto, Apo (Jean-Apôtre dit) Lazarides et Lucien Teisseire lors d'une partie de pétanque. André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi6552.

Triplette


octobre 2019

Si d'aucuns trouvent du patrimoine sous les sabots d'un cheval, ici, aux archives, nous pouvons dire que nous sommes assis sur une mine. Quand, de surcroît, les fonds photographiques se recoupent et qu'on y on trouve des pépites, l'iconographe atteint la quête ultime, l'absolu, et porte un toast au travail des photographes qui nourrissent chaque jour son cerveau d'hirondelle et lui permettent de tricoter entre les cotes.
L'album « sport » du fonds Dieuzaide dispose, dans la catégorie « cyclisme », de quatre contacts qui n'ont, à première vue, rien à voir avec la petite reine. Sous les pavés, le boulodrome… Les quatre hommes en train de rejouer la partie ne sont pas boulistes, mais cyclistes en plein Tour de France, et précisément en plein jour de repos avant d'attaquer les étapes de montagne le lendemain. C'est André Cros qui documente le moment, lequel a repris possession de ses négatifs et en a fait don aux Archives municipales de Toulouse. Pendant ce temps, Jean Dieuzaide était au bord d'une autre piste, celle du Grand Prix d'Albi où Fangio prenait le départ…
Le fonds Cros est entièrement numérisé et en ligne. Le fonds Dieuzaide, qui est en cours de traitement et de numérisation, est consultable sur place et sur rendez-vous.

Les compagnons du ciel. "Toulouse 1960. Championnat du Monde". Portrait de groupe de la troupe d'acrobates "Les Compagnons du Ciel" ; deux femmes assises en premier plan, deux hommes debout derrière, ils sont en costume de scène. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi2091

Ange


septembre 2019

20 h 30. Les spectateurs massés dans le ventre du chapiteau retiennent leur souffle, les yeux écarquillés, levés vers la plateforme où deux femmes en paillettes aiguisent leurs jambes et poudrent leurs mains. Les trapèzes se balancent déjà, prennent de la vitesse et décrivent des arcs de cercle sur la voûte étoilée. Deux genoux se plient, les mollets se bandent, l'impulsion se propage des métatarses aux épaules, un corps se propulse hors du temps. Des mâchoires serrées se relâchent, des bouches béent, des mains se tendent, des doigts puissants se serrent sur des poignets attentifs et le balancier s'accélère jusqu'à provoquer une inspiration collective et sonore lors du triple salto final, précédant de peu les applaudissements déchaînés du public exalté.

Si les « Compagnons du ciel » effectuèrent leurs sauts aussi périlleux que millimétrés sous les yeux incrédules d'un public sans aucun doute très nombreux, il ne nous reste qu'une image de cette troupe de voltige au complet. L'histoire ne dit pas si la bande comptait l'homme à la dentition de fer parmi ses membres, mais elle raconte que Francine Parry, l'une de ses membres (la jeune femme sur la gauche), battit le record du monde de durée sur fil sous le regard attentif de Jean Dieuzaide. C'était en 1957, trois ans avant l'image illustrant cet article, et c'est consultable sur rendez-vous aux Archives municipales.

Jardin du Grand Rond (1885). Mentions manuscrites sur étiquettes de papier collées : N°22. Toulouse (1885). Grand Rond ». Gardien en uniforme avec médailles et alignement de chaises. Cliché de projection avec double protection de verre scellée par du papier. Gorges Ancely – Ville de Toulouse, 51Fi1476.

Cinq


juillet 2019
Oui, la chaleur est assommante, la langueur des journées chargées de soleil nous gagne, le cortex ramollit, et la rédaction du centième « Zoom sur » en pâtit. Je vous sers un billet décongelé sur la sensorialité. Quelque chose de frais et léger, à feuilleter sur la plage, pas trop compliqué, avec un diaporama, sorte de filmette surannée, de court-métrage paresseux.
Cinq scènes de genre du Toulouse du 19e, tranches de vie prises par Georges Ancely, mort en 1919.
Vous verrez des gens vivre, des qui vendent des fleurs ou des fruits, un qui cire au rythme de l'accordéon, d'autres qui se mettent à l'ombre et arborent des faux culs, et puis, au milieu de ce remue-ménage, au son des voitures à cheval, du bruit des roues et des sabots sur le pavé poussiéreux, un qui se fait voir. En plein silence. À l'heure de la sieste peut-être ?
 

 

Costes et Le Brix à Toulouse (1928). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi161.

Escale toulousaine


Juin 2019

L'accueil réservé le matin à nos deux aviateurs à leur entrée en gare Matabiau avait été chaleureux. À la hauteur de leurs exploits. Il faut dire qu'à bord de leur bréguet 19, le Nungesser et Coli, Dieudonné Costes et Joseph Le Brix avaient accompli, du 10 octobre 1927 au 14 avril 1928, un tour du monde. Et réalisé pour cette occasion la première traversée de l'Atlantique Sud sans escale, ralliant après 20 heures de vol Saint-Louis-du-Sénégal à Natal (Brésil). Depuis leur retour, ils étaient reçus en héros dans les grandes villes de France. 
À peine arrivés à Toulouse étaient-ils attendus au Capitole : le maire, Étienne Billières, souhaitait leur remettre le diplôme de citoyens honoraires de la ville. Alors qu'ils sont conviés au Grand-Hôtel à un banquet organisé à grands frais en leur honneur, c'est au stade Ernest-Wallon qu'on les retrouve sur cette image. Car à Toulouse, dimanche 6 mai 1928, journée faste, se jouait une finale de rugby. Avant un tour de piste triomphal resté dans les mémoires – si original, relate un journaliste, que le speaker en oublia de présenter les équipes (!) – nos deux aviateurs, leur chapeau à la main, rendent hommage aux joueurs du Stade Toulousain morts pour la France. 
Ils ont le bel âge. Tout leur sourit. Dieudonné Costes, une gerbe de fleurs dans les bras, arbore un sourire insolent. Joseph Le Brix a ce regard si particulier qui, selon Saint-Exupéry, éclairait et ennoblissait tout ce qu'il touchait. 
Trois ans plus tard, lors d'un raid aérien devant le mener de Paris à Tokyo, Joseph Le Brix disparaîtra au-dessus des monts Oural. En vol.

Reportage sur les canaux à Toulouse, pont-canal des Herbettes. Stéphanie Renard – Ville de Toulouse, Archives municipales, 4Num14/63.

Roulis


mai 2019

Si 2019 est l'année de la teuf, l'ivresse et ses tournis coulent à flot sur les ponts depuis bientôt 35 ans. Les bateaux ne passent plus dessous mais bien dessus*, leur tangage nous donne des hallucinations. Liquéfiés dans le flux des véhicules qui roulent, eux, non sous la table, mais sous le tablier, les automobilistes restent au sec et s'interrogent sur la couleur de l'ouvrage : vert ou rouge (nous serions tentés de dire « un verre de rouge », mais la bienséance nous l'interdit je crois) ? Pont ou canal ? Soyons fous, prenons les deux et allons faire un tour sur la fiche UrbanHist du pont-canal des Herbettes.

* En cliquant sur ce lien vous arrivez sur la première photo de l'album de reportage sur les canaux à Toulouse. Pour voir l'image dont il est question dans l'article, il faut chercher la 63e.

Cortège funèbre du père Marie-Antoine. 10 février 1907. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi7190.

Au Ciel !


Avril 2019

"Toulouse sut toujours honorer ses morts. De mémoire de Toulousain, jamais elle ne donna le spectacle grandiose des triomphales obsèques qu'elle vient de faire au religieux qu'elle se plaît à appeler son saint1."
"Le saint est mort !" Vendredi 8 février 1907, à 5 h du matin, la ville était encore assoupie quand se propagea la nouvelle : le père Marie-Antoine, dit "le saint de Toulouse", s'était éteint à l'âge de 82 ans dans le couvent qu'il avait fondé. Deux jours durant, 4 000 personnes défilèrent devant son corps exposé au pied du maître-autel de la chapelle des Capucins : certains déposant des lettres à ses pieds, d'autres emportant à la hâte un morceau de sa robe ou un poil de sa barbe en guise de reliques. 
Dimanche 10 février, en début d'après-midi, le cortège funèbre quitte le couvent de la Côte-Pavée et se met en marche vers la cathédrale Saint-Étienne où les obsèques vont être célébrées. Tout au long du parcours, la même foule noire, compacte, venue lui rendre hommage. "À combien peut-on évaluer cette foule ? À quarante, cinquante mille personnes ?" s'interroge un journaliste de l'époque avant de conclure, philosophe : "Il y a des foules qui ne se dénombrent pas 2. Cette photo a été prise peu après la cérémonie, alors que l'imposant cortège s'engage rue Riguepels, en direction de Terre-Cabade, où l'inhumation est prévue. Au premier rang, les représentants du clergé diocésain et des congrégations religieuses. Puis le cercueil, porté par un groupe de fidèles, recouvert de l'étole du père et de la chasuble revêtue lors de sa dernière messe. 
Or, à y regarder de plus près, ce n'est pas tant la foule qui attire notre attention, mais le cercueil dont se dégage comme une lumière étrange, quasi... surnaturelle. Rien de surprenant venant du père Marie-Antoine, qui se voulait un saint depuis l'enfance, et qu'on louait pour ses miracles ! N'avait-il pas d'ailleurs interpellé à Lourdes l'écrivain naturaliste Émile Zola en ces termes ? "Eh bien, Monsieur Zola, ici le réel n'est pas le réalisme. Le réel est divin3 !"

Notes
1. L'Express du Midi, 11 février 1907.
2. Id.
3. Le saint de Toulouse. Vie du P. Marie-Antoine des FF. MM. Capucins, Père Ernest-Marie de Beaulieu, Toulouse, L. Sistac, 1908, p. 448

Boulevard Marengo et allées Jean-Jaurès anciennement Louis-Napoléon. Entre 1856 et 1857. Vue perspective des deux voies prise depuis le quartier Marengo ; au premier plan construction du pont Georges-Pompidou sur la voie ferrée. Ville de Toulouse, Archives municipales, 25Fi128.

Mange


mars 2019

Du jeune, du neuf, du frais : ce mois-ci, la naissance d'un pont. Oui, si vous regardez parmi les articles de la rubrique zoom, vous constaterez que je suis assez friande de ponts. C'est fascinant un pont, poser un tablier sur des piliers pour enjamber une voie ferrée, un fleuve, une route, une flaque de boue, une vallée, pour aller de la Terre à la Lune ou conférer un caractère ludique à une assiette de petits pois en tentant de faire tenir les carottes debout pour les couvrir de la feuille de salade cuite en déshérence, rien de tel qu'un pont.

Ici en l'occurrence il s'agissait de relier l'école vétérinaire au reste du monde de la ville. Après une passerelle en bois dont nous n'avons pas de photographie, une première structure en dur est mise en place (avouez que dans une fulgurance, vous avez regardé les tas de cailloux et d'IPN au premier plan comme s'ils étaient sortis d'une assiette de la cantine... et la statue de Riquet, fraîchement installée elle aussi, comme un bouquet de brocoli dressé sur sa base).

Pour la suite de l'histoire en images, du moins celle du pont, je vous invite à consulter notre base en ligne avec les mots-clés @pont@ et @vétérinaire@. Vous tomberez notamment sur ceci, et cela, ou encore .

Notre-Dame de Grasse. Groupe sculpté représentant une Vierge à l'Enfant, réalisée à Toulouse dans la seconde moitié du XVe siècle et conservée au musée des Augustins dans la salle capitulaire (RA 788) ; sur son socle figure l'inscription "Nostre Dame de Grasse". Plaque de verre 13 x 18 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 6Fi149 (détail).

Corps gras


février 2019

Mais pourquoi diable le fils fuit-il ainsi sa mère ? Est-il attiré par une assiette de crêpes, posée non loin de lui, et diffusant son alléchant parfum de fleur d'oranger, de vanille, et autres garnitures sucrées ? Ou bien, la voyant absorbée dans des pensées funestes, il prend ses responsabilités et tente d'éteindre un début d'incendie que des projections d'huile auront provoqué ? Ou encore, a-t-il été figé par le sculpteur alors qu'il tentait d'échapper à son costume de pierre, pour ne pas risquer d'être tripoté par des centaines de doigts, pleins de confiture ou non, qui ne manqueraient pas de le caresser au fil des siècles ? Je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'un obscur quidam graissant la patte du minot à coups de galettes ou de jus de raisin en vue d'obtenir des miracles de sa part.

Que les vêtements de Notre-Dame de Grasse, qui est svelte, et de son Fils, à peine replet, fussent peints avec des pigments jaunes et oranges liés par un corps gras ne justifie pas une telle attitude. En revanche, il est bien plus envisageable que le groupe, présenté hors de son contexte, fût conçu pour être entouré d'autres personnages. Qui ? Pourquoi ? Quand ? Il reste encore de quoi discuter le bout de gras sur cette question.

[Deux bouchers prenant l'apéritif]. Vue d'ensemble de deux bouchers en tenue de travail prenant l'apéritif en devanture d'un bâtiment. Ils sont debout, l'un tient une bouteille, l'autre un verre, le second verre est posé sur une table en fer à trois pieds. Au dos tampon : « P. Parigol. Photographie Nouvelle. Toulouse-Pamiers. Rue des Filatiers, 38 ». P. Parigol, Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi1642.

Triste


janvier 2019
Ces deux garçons bouchers (tablier relevé, cravate, chemise retroussée) sont tristes. Pensez ! Ils viennent de se rendre compte qu'en plus du fait qu'ils ne doivent pas faire l'apologie publique des boissons à sucre fermenté, et que donc ils feignent la scène avec une bouteille bouchée, il leur faut, encore une fois, s'adonner à la formule consacrée en ce début d'année, sourire aux lèvres et vide au fond des yeux, souhaitant le meilleur d'on-ne-sait-quoi à n'importe qui. Viendront sans doute aussi les souhaits que l'on se fait à soi-même, toujours aussi mensongers, criant sur tous les toits que cette fois c'est sûr « j'arrête de boire les inepties télévisées et réticulaires (un dictionnaire est un ami), je me mets au sport et je mange sainement ».
Donc non, cette année je ne résous rien, je vous souhaite ce que vous voulez et je vais au comptoir voir le bizarre. Parce que « vous avez beau dire, y a pas seul'ment que d'la pomme... y'a aut'chose ! »
Rue Eugène-Sue. Années 1950. Vue perspective ascendante de la rue Eugène-Sue au niveau du n°11. Cliché réalisé après les travaux de voirie. Henriette et Robert Patez. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi632.

Rev(êt)u


décembre 2018

Vois-tu, lectrice ou lecteur, ces voies ouvertes et avenantes, couvertes d'un goudron lisse et prometteur ? Vois-tu comme ton véhicule glissera aisément et en silence sur une route désormais neuve et propre ? Vois-tu comme tes mignons souliers ne seront désormais plus souillés par la boue des rues terreuses ?
Nous sommes au début des années 1950 et une commande, dont nous ignorons tout, a conduit Henriette et Robert Patez, photographes installés rue Saint-Rome sous l'enseigne de Super-photo, à documenter l'état de quelques rues de Toulouse avant, puis après les travaux du bitumage de la voirie. Or, ce que nous n'ignorons pas du tout, vois-tu, c'est qu'une délibération du 10 décembre 1948 précise qu'un marché est conclu avec 3 sociétés différentes pour la fourniture de 1400 tonnes de matériaux enrobés destinés au Service de la voirie, pour une somme globale de 20 millions de francs prélevée sur les crédits de l'année 1949.


Quelques rues disais-je... nous avons ébauché une carte des voies (plus d'une centaine) photographiées par le couple (merci à notre sigiste, au passage). Nous laissons ton regard ébahi contempler l'ampleur des travaux. Automobiliste d'aujourd'hui, transporté en commun, cycliste, piéton, pousseur de poussette, au masculin comme au féminin, avoue que tu es ravi d'avoir échappé à cet enfer.
Si ces près de 700 images te semblent rébarbatives à consulter, admire ces trois aspects : d'un, l'angle de prise de vues, qui ne laisse aucun doute sur le fait que le sujet de la photographie est bien la voie, et non la rue, nuance ; de deux, le témoignage sur l'état d'urbanisation de la ville au mitan du siècle dernier ; et de trois, le repos visuel généré par la quasi-absence de l'automobile !

Boulangerie de l'Ancien Bureau de bienfaisance, 15 rue Traversière-Saint-Georges (actuelle rue Louis Deffès). 1938-1940. Scène de cuisson du pain à la boulangerie du Bureau de bienfaisance : deux boulangers se tiennent devant le four où plusieurs miches sont prêtes à être défournées à l'aide d'une pelle ; cliché réalisé dans le cadre d'un reportage sur les services et les œuvres du Bureau de bienfaisance de la Ville. Marius Bergé, Ville de Toulouse, Archives municipales, 85Fi681

Quotidien


octobre 2018

Oui, j'ose aborder le pain de ce jour, pardonnez-moi cette offense, mais la tentation est trop forte. C'est un mal pour un bien. 
Nous avons, voyez-vous, engrangé un certain nombre de documents photographiques ces derniers temps, dont un fonds du musée des Augustins composé de plaques de verre, en cours de traitement et accessibles en ligne. Elles sont pour une bonne partie l'œuvre de Marius Bergé, homme de presse qui fonda Le Cri de Toulouse et La Gazette de Toulouse, et illustrèrent le Bulletin municipal, notamment les articles concernant l'action sociale de la ville. Je me devais de vous en faire part, d'autant que les Archives municipales utilisent à leur tour plusieurs photographies de ce fonds à l'occasion de l'exposition sur la fin de la Première Guerre mondiale qui se tiendra du 24 octobre au 18 novembre dans la salle des ventes du Crédit municipal, rue Urbain Vitry.

 

 

 

Ainsi, le Bureau de Bienfaisance est doté à partir de 1869 de sa propre boulangerie, rue Traversière-Saint-Georges, dans l'ancien quartier éponyme. Les images de ces miches alléchantes font rêver, on en devine le parfum et la chaleur, en penchant l'oreille on entendrait même les clapotis de la mie encore en expansion sous l'épaisse croûte craquante. Et si les horaires décalés, la chaleur du four, la rudesse de l'effort, la sueur perlant sur le front et creusant sont lit vers le foulard à travers la peau couverte d'une fine couche de farine ont raison de certaines velléités de reconversion, elles n'entament pas la motivation d'une chargée d'inventaire prête à tout pour se consacrer à la noblesse de la tâche. 

18e Régiment d'Artillerie Toulouse, mai 1897. Cour de la caserne Caffarelli, boulevard Lascrosse, en mai 1897. Portrait de la 5e batterie du 18e régiment d'artillerie. Sept rangs de militaires dont les noms sont reportés un à un au dos du document. De Jongh Frères - Ville de Toulouse, Archives municipales, 3Fi1224.

Verso


septembre 2018

Une humeur prétendument badine me pousse à aborder le thème galvaudé de « ce qui se cache derrière les images ». Le public aime voir des dessous en général, être invité à pénétrer des chambres secrètes, faire partie d'une élite qui aurait accès à des informations confidentielles, être considéré comme unique et se hisser hors du troupeau anonyme et homogène. Oui moi aussi, je l'avoue, j'aime qu'on me susurre à l'oreille de folles révélations. Voyons donc. Penchons-nous sur les collections iconographiques, dont nous écartons d'emblée les supports transparents (plaques de verre et diapositives), pour nous intéresser, une fois n'est pas coutume, aux versos. 
Contrairement aux « faces B » des 45 tours, ils tendent à donner de la profondeur aux rectos. Souvent manuscrites (mais pas toujours), les notes apportent un supplément d'humanité. À mi-chemin entre l'impression et l'humain, nous avons le tampon. Sorte de mention apposée en série, il donne un cadre administratif ou documentaire avec notamment les noms des auteurs, des propriétaires successifs, parfois des dates d'intervention ou des droits d'utilisation. Enfin, il se peut que le verso soit un recto, ou vice-versa, selon ce que l'on considère comme étant la « face A ». Au moins deux types de documents se trouvent dans cette catégorie. Les cartes postales, dont l'image présente un intérêt documentaire, mais où la partie épistolaire est parfois fort intéressante ; et ce que je me risquerai à appeler les « écrits d'urgence » : les témoignages déposés par la population sur la place du Capitole aux lendemains des attentats de 2015.

À examiner les supports utilisés à cette occasion, on a une idée du contenu des poches d'un quidam du début du 21e siècle, et qu'il est prêt à abandonner pour s'exprimer : ticket de métro, prospectus, sujet d'examen, ou notes de cours. Le document, pour si rudimentaire qu'il apparaisse, est riche d'informations sur son contexte de production.

Lorsque les dos des images présentent de telles informations, ils sont numérisés et mis en ligne. Pour les voir, il suffit de cliquer sur les flèches, tout en bas, sous l'image principale, comme ici par exemple.

Chapiteau de la mort de saint Jean-Baptiste : Hérode et Salomé. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi2482.

Tête d'affiche


juillet - août 2018

Effectivement en lisant ce qui va suivre vous pourrez penser qu'on travaille du chapeau aux Archives. Mais c'est de rigueur. Normal en ces temps de rigueur. Les rigidités systémiques nous font perdre la raison comme d'autres perdent la tête à cause d'un coup de tête lors d'un banquet : la coupe se remplit, un jour elle est pleine et on finit par trancher dans le vif. Inutile de se prendre la tête et revenons au sujet : « la décollation pendant la collation », iconographie appréciée de tous temps et guest star des cloîtres romans.

Les deux chapiteaux représentant la mort de Jean-Baptiste conservés au musée des Augustins ont eux aussi été bringuebalés au fil du temps. Déjà ils ont perdu leurs corps, tout comme JB, mais leur présentation a aussi été l'objet de fantaisies diverses : le tailloir sous lequel est placé aujourd'hui le chef-d'œuvre de Gilabertus n'a pas toujours été le même, comme le prouve cette plaque de verre tout droit sortie du 51Fi (fonds des Toulousains de Toulouse, que vous connaissez depuis le temps que je vous le sers à chaque occasion). Sorte de couvre-chef de chapiteau, le tailloir est rarement absent de l'équation, sauf sur cette carte postale où l'on voit très bien la place que s'est octroyée l'artiste sur le bloc de pierre, couvrant totalement la corbeille, débordant même sur la partie structurelle inférieure en faisant reposer les pieds des protagonistes sur l'astragale. Il suffit de comparer avec cet autre chapiteau de la décollation du Baptiste, où la sculpture est contenue à la place qui lui était allouée en ce début de 12e siècle.

Je vous laisse apprécier la finesse d'exécution, l'élégance des postures, la souplesse des cheveux et des mains et la richesse des costumes.

[Dépôt de balances]. Années 1920-1930. Vue d'ensemble d'un tas de balances hors service, rangées au fond d'une pièce. Joseph Saludas - Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi5570.

En juin on fait moins les malins


juin 2018

Le filon toulousain du trafic de balances aurait été démantelé récemment. C'est plutôt une bonne nouvelle pour les enragés des régimes printaniers : inutile donc cette année de chercher à perdre quelques grammes en prévision d'une exposition de marchandise sur un étal ensablé, il sera impossible de peser les colis. De toutes façons il manque l'élément indispensable au hâlage des chairs, le soleil a décidé de prendre une année sabbatique, le veinard. L'occasion est trop belle pour être manquée, ne pesons plus rien si ce n'est le pour et le contre, et goinfrons-nous de balades à vélo en bikini sans la moindre vergogne et adieu les obsessions.

 

Maintenant que les complexes vous ont quittés, si par chance, vous, derrière l'écran de votre appareil téléphonique portatif et intelligent, ou même celui de votre terminal informatique, vous aviez le sourire en coin en train de pointer le bout de son nez parce que vous connaîtriez le où-quand-quoi-pourquoi-et-comment (dans cet ordre) de ces appareils de mesure sur cette photographie de Joseph Saludas prise dans les années 1920-1930, virgule et respiration, alors vous nous procureriez un plaisir immense en voulant bien nous faire parvenir ces précieuses explications. Voilà plusieurs années que cette énigme m'empêche de dormir, il est certain que l'interrogation commence à me peser.

 

Violettes à Toulouse (1953). Avenue de Fronton, n° 269. 1953. Plan rapproché sur une femme âgée sentant un bouquet ; bâtiments. Jean Ribière - Ville de Toulouse, Archives municipales, 41Fi61. Reproduction sur autorisation.

Purple rain


mai 2018

Ces derniers temps c'est plutôt gris sur la ville rose. Malgré les rouge et or qui se déplacent chez les rouge et noir. Malgré les violets courant sur la pelouse du Stadium, malgré la coulée verte du canal, malgré le pastel – sa fleur jaune n'a rien à voir dans la transformation de la feuille -, malgré la brique, les marbres, les tuiles, malgré le noir des pavés de la rue Alsace. Même les cerises passent inaperçues, sauf à quelques pigeons si gros qu'ils pourraient passer pour des colverts. Revenons à nos couleurs et savourons des photographies en noir et blanc.
A cette période, je suis censée commencer à vous apporter un peu de fraîcheur, « mais c'est de chaleur dont nous avons besoin » me crierez-vous sans l'ombre d'un doute. Alors fermez les yeux et plongez-vous dans un jardin au printemps. Plongez sur la pelouse, au ras des pâquerettes, tout près des violettes. Plus près encore, leur parfum sucré se hume le nez dessus, exactement comme le pratique la dame sur la photo qui plonge son nez dans un bouquet.
Travaillant dans l'une des exploitations toulousaines des années 1950, cette dame est peut-être devenue violetholique, comme l'est ma grand-mère : elle a développé une addiction sévère au parfum de la fleur, qui a fini par coloniser l'ensemble de sa peau, ce qui a pour effet que mon aïeule est précédée (et suivie) d'une odeur de bonbon au sucre partout où elle se rend. Il y a pire, c'est vrai.
La violette cristallisée sévit dans la capitale languedocienne depuis le milieu du 19e. Elle s'invite partout : sur les cartes et dans les coffrets souvenirs, elle trône sur les pâtisseries, elle tente même de supplanter la crème de cassis dans certaine boisson alcoolisée.
Promenez-vous donc dans le fonds Jean Ribière et vous y trouverez le reportage complet sur la culture et la transformation de la fleur en confiserie.

Parc Municipal des Sports. Piscine Nakache, île du Ramier. Années 1940. Vue de la piscine et de la brasserie attenante, avec de nombreux nageurs ainsi que des hommes et des femmes assis sur des chaises en enfilade. Présence de parasols publicitaires pour l'apéritif Dauré. Joseph Saludas, Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi1601.

La mer


avril 2018

- Quelle chance de vivre à Toulouse, vous avez la mer n'est-ce pas ?

Voici un exemple de remarque désobligeante servie généralement par nos congénères vivant au nord de la Loire, de ceux qui ne savent pas les noms des viennoiseries, et qui vous placent allègrement sur une carte la ville rose près de Palavas-les-Flots. Donc non, il n'y a pas la mer à Toulouse. En revanche, nous avons la piscine Nakache sur l'île du Ramier : Toulouse-plages avant l'heure. Un rayon de soleil et nous voilà rêvassant mollement au prochain apéritif siroté crânement sous un parasol, les yeux plissés en regardant les enfants se baigner et les jeunes premiers exhiber leurs corps sculptés.

Les goûts se suivent et ne se ressemblent plus, car si les amers furent en vogue jusqu'aux années 1970 (soyons sérieux, nos souvenirs de Suze-cassis remontent bien à l'époque des cols de chemise en pelle à tarte), ils déclinèrent au profit, entre autres, des vins cuits, plus sucrés, que nous leur préférons aujourd'hui. Et, loi Evin oblige, c'en est terminé des placards vantant les mérites des Campari, Bitter, Suze et autres élixirs de gentiane. Heureusement, il nous reste les archives photographiques pour apprécier un affichage à faire se retourner n'importe quelle vésicule biliaire.


 

Caille sur canapé (1937). Menu du restaurant "Calypso" (allée de Barcelone) composé pour l'association des " Randonneurs toulousains". Ville de Toulouse, Archives municipales, 45Fi218.

Genre


mars 2018

Quel humour mes amis, quel humour. En vérité je vous le dis, les temps ont bien changé. Il fut une époque où l'on pouvait peindre une caille sur canapé au propre et au figuré sans être inquiété. Repris quelques années plus tard par une autre équipe de publicitaires, le procédé fut réprouvé lorsqu'il s'est agi de crème fraîche. Les gender studies sont passées par là : on ne prend déjà plus les vessies pour des lanternes, pourquoi faudrait-il prendre les humains pour des volatiles ? Quoi que, si l'on retourne le document (vous pouvez le faire de chez vous en consultant la vue n° 2 depuis le bouton situé tout en bas à gauche de cette page) la question devient légitime. En effet, la lecture du menu servi à une association de randonneurs en 1937 pourrait bien faire passer l'homme pour un canard gras. Espérons que la présence d'une pintade sur la liste des mets était aussi fortuite que le fait que ce billet soit rédigé le 8 mars.

Hôtel Mansencal. 1 rue Espinasse. Vers 1920, vue d'ensemble. Ville de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2180.

Aïe


février 2018

Il vous faut des explications, tout de suite. D'abord la couleur jaune, puis une indication de souffrance, et enfin cette photographie : tout ceci vu depuis votre côté de l'écran peut paraître décousu, mais en réalité c'est lié. Une photo, avec ses strates chimiques, est un objet vivant qui évolue dans le temps. Et selon le chemin que prend son existence, les traumatismes qu'elle subit, les choix opérés par les personnes qui l'ont constituée puis transformée et conservée, son intégrité est parfois menacée. Vous avez déjà vu des tirages jaunis par le temps, affaiblis, presque illisibles. Il s'agit bien souvent du résultat de l'oxydation des grains d'argent contenus dans l'émulsion, qui peuvent produire, entre autres, du sulfure ou de l'argent colloïdal. Les deux combinés donnent naissance à cet intéressant voile jaunâtre aux reflets métalliques*. Sur un support transparent comme une pellicule ou une plaque de verre, l'image observée sur un fond clair apparaît en négatif, sur un fond sombre on la voit en positif. Revenez sur l'article d'avril 2016 , il était déjà question de cette particularité.

 

Le temps accomplit donc son travail de sape, inexorablement, le fourbe. Si on ne peut le stopper, un ralentissement du déclin est envisageable, en conservant ces documents très sensibles en atmosphère fraîche et sèche (moins de 14°C et de 40 % d'humidité). Cependant, nous ne maîtrisons pas l'état des documents lorsqu'ils arrivent chez nous : ils sont parfois mal en point.

Vous apprécierez donc l'abnégation de cette plaque de verre qui souffre en silence, altérée par l'oxydation de son émulsion. Notez bien que la numérisation est étonnamment précise, aucune retouche n'étant apportée. Quant à la couleur rouge, il s'agit probablement d'un vernis de masquage qui s'est dégradé. On en trouve aussi du jaune, parfois appliqué de part et d'autre de la plaque de verre, pour être bien sûr que la lumière ne passera pas au moment de réaliser le tirage.

Pour des informations complètes sur l'hôtel Mansencal de la rue Espinasse, rendez-vous sur UrbanHist !

 

 

*Source Bertrand Lavédrine, Les collections photographiques. Guide de conservation préventive, Arsag, Paris, 2000.

Année 1920-1930. Vue d'ensemble d'une valise d'ustensiles de cuisine. Joseph Saludas, Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi5332.

Ustenlise


janvier 2018

Ne cherchez pas, c'est un mot-valise. Un de ces mots à tiroir dans lesquels on fourre ce que l'on veut, en l'occurrence ici à la fois le contenant et le contenu, la valise et l'ustensile. Et quelle valise ! Avec ça vous passez soit incognito, soit pour un sniper, c'est au choix.

Ce tirage photographique est le fruit du travail de Joseph Saludas, dont vous trouverez près de 450 clichés dans nos fonds en faisant une recherche par auteur. Il a documenté foires et vitrines de commerces, groupes de sportifs et d'écoliers. Vous reconnaîtrez au moins une image déjà proposée ici, issue d'une série sur les cuisines collectives.

Mais pour en apprendre plus sur ce photographe qui œuvra pendant près de quarante ans à Toulouse et dans la région, consultez donc le tome 2 de l'Encyclopédie historique de la photographie à Toulouse, de François Bordes, paru en décembre 2017. On en parle ici, et comme il est bien entendu dans nos rayons, vous pourrez le « loeilleter » en salle de lecture, et l' « exapouiller » pour vos recherches sur la photographie toulousaine entre 1914 et 1974.

Et en passant, « excellonne » année à vous !

Pont des Catalans. Entre 1913 et 1916. Vue perspective de la voie sur le pont où l'on constate les désordres de voirie liés au pavage de bois. Brouillard. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi5630.

Bu


décembre 2017
Le soleil ne perce pas, enfermé derrière la muraille de brume qui recouvre Toulouse. Le froid est mordant autant qu'humide, respirer devient un exercice pénible. Les bruits habituels du matin paraissent s'étouffer. Seule une voiture s'enfonce lentement dans les ténèbres blanches, emportant avec elle le claquement sourd des sabots sur les pavés. Est-ce que le cocher s'est aperçu de l'éventrement de la chaussée ? Le voyageur a-t-il compris les cahots subits alors que le franchissement du pont est habituellement paisible ? Peut-être que l'équipage a traversé ces buttes étranges comme un passe-muraille, ou bien celles-ci se sont formées après son passage comme une traînée d'écume suit un bateau, formant de charmantes bulles qui tôt éclatent.
Pourtant il n'y a pas de mystère. Ouvert à la circulation en 1913 avec des pavés de bois, l'humidité a rapidement fait gonfler le revêtement. Le bois buvait trop, trois ans plus tard il fut remplacé par du granit.
Portrait D'enfant. Portrait en studio dans la première moitié du XXe siècle d'une fillette costumée en mariée, avec long voile et gants blancs, se tenant debout près d'un fauteuil canné au piétement en X et devant un fond peint représentant un intérieur à larges fenêtres, boiseries et colonnes. René Gril - Ville de Toulouse, Archives municipales, 34Fi198.

Canné


novembre 2017

Naturellement, il ne s'agit pas de l'enfant, resplendissante de bonheur dans sa tenue de princesse épousée, maquillage et voile immaculé à l'appui. Non, il faut regarder le fauteuil. Pour une fois intéressons-nous un instant aux accessoires, nous reviendrons à la petite fille plus tard. Avez-vous remarqué qu'il est canné ? Peut-être le voit-on mieux sur l'image agrandie et non recadrée. Parce que la canne, c'est surtout cette grande tige fine et droite qui pousse près de l'eau, dont on tire les cannes (à pêcher ou à marcher), et auxquelles on fait allusion pour désigner les guibolles, car oui, n'a pas de cannes de serin qui veut. Notre fauteuil, donc, tissé de lanières de jonc, est canné.

En revanche, en découvrant cette photographie, j'ai bien failli canner. Car vêtir une petite fille en mariée, c'est une sorte d'endoctrinement, un mode de pensée inculqué très tôt, non ? Gageons que les parents se sont amusés pour un carnaval à transformer leurs petits en adultes. Parce que oui, vous avez le garçonnet affublé d'un très beau costume trois pièces avec haut de forme et souliers vernis, et dans la même série, comble du mignonesque, l'image de l'union, forcément factice. Ah, je canne, j'expire !

Faculté de médecine de Toulouse. 3e année. 23 novembre 1906. Etudiants posant avec un squelette sur le perron de la faculté. Marque et mention signalant Auguste Labéda et Étienne Roques. C. Lencout-Bent - Ville de Toulouse, Archives municipales, 3Fi36 (détail).

Deux de tension


octobre 2017

Au moment où les ténèbres rattrapent la lumière, quand les nuits deviennent aussi longues que les jours, à l'équinoxe d'automne, on peut se sentir un peu fatigué, vidé. Une faible pression artérielle provoque des chutes de tension, laissant inertes les sujets affectés. Difficile alors de porter attention aux tâches délicates, ce qui peut, dans des situations extrêmes, s'avérer dangereux. Imaginez un chirurgien épuisé, entre les mains duquel vous laisseriez votre vie. Il pourrait, par une bête seconde d'inattention, attenter à vos jours. Il faudrait alors vous brancher, si possible sur haute tension, pour tenter de remettre un peu de jus dans la machine. Les hommes et les femmes de l'art marchent donc sur un fil, celui de la vie, à maintenir tendu.

Prenant l'expression au pied de la lettre, des étudiants en médecine du début du siècle dernier l'ont appliquée dans leur photo de groupe. Cette dernière, charmante, présente avec l'humour que nous leur connaissons une classe de la faculté de médecine de 1906, présentée il y a moins d'un an sur le compte Flickr des Archives municipales.

Mais il en est d'autres moins répandues. L'une montre une classe de dissection, avec le même esprit potache mais un peu plus douteux. Que d'hommes, direz-vous ! Et fiers d'exhiber leur quotidien de travail, quitte à heurter les sensibilités. L'image est fascinante. L'autre l'est encore plus, à plusieurs titres, mais attention ! Je ne saurais trop recommander aux personnes sensibles de ne surtout pas cliquer sur ce lien. D'abord, il faut comprendre à quel point il est encore rare de confier des corps aux femmes au début du 20e siècle. Quant à les photographier avec un sujet d'anatomie disséqué, vous n'y pensez pas. Ensuite, il émane de la femme en blouse, instruments en main, le regard sûr, un calme presque reposant, loin de toute tension. Enfin, le corps, ou ce qu'il en reste, déposé devant elle sur la table d'analyse présente une texture étrange. En y regardant de plus près, on constate des traces de rayures, ou plutôt de grattages, manifestement présentes sur le négatif. Aurait-on par le passé souhaité soustraire à la vue des chairs peu ragoutantes ? Quelle charmante attention !

Si d'aventure vous accusiez un goût pour les descriptions de corps altérés, précipitez-vous sur le dernier dossier des bas-fonds, en ligne ici.

Années 1920-1930. Vue d'ensemble d'une cuisine collective, dont un four alimenté au gaz, en situation de fonctionnement, une femme et un homme posant devant le matériel. Au verso de la photo, tampon : J. Saludas, photo, Rue Cazals, Croix-Daurade, Toulouse. Joseph Saludas – Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi5577.

Menu


septembre 2017

Feuilletés aux petits légumes ; aspic de saumon sauvage et crème d'oseille ; cailles rôties, oignons confits et sauce forestière ; gratin dauphinois et fagots de haricots ; fromages de nos régions ; omelette norvégienne ; café, biscuits et liqueurs. À la carte, naturellement.

En cuisine, la chef et son commis s'activent, tout sourire, dans une excitation rare, à l'idée de préparer un tel repas. La table que l'on devine sur la droite sert avantageusement de plan de travail, très commode avec son tiroir à couteaux. Si la caille à découper est un peu trop récalcitrante, une scie à bois est à disposition au-dessus du four. Les sauteuses contiennent sans doute de grandes quantités de sauce ou de ballotins de légumes verts étuvant tranquillement. Les ustensiles, précautionneusement disposés sur une tringle, permettent de plonger dans les marmites pour y chercher la portion adéquate.

Le sol de terre battue présente plusieurs avantages : les graisses qui s'y répandent sont aussitôt absorbées évitant ainsi au personnel l'apprentissage du patinage pour travailler sur les lieux, et dispense du nettoyage à grande eau. Notons également les espadrilles réglementaires, pour se sentir à l'aise en toutes circonstances. À la fin du service, une petite pause pourra être accordée à l'équipe, qui utilisera les deux chaises sans pieds suspendues au mur. Ces dernières ne seront décrochées qu'après avoir dûment rangé les gamelles, juste au-dessous, et en prenant bien garde de ne pas y faire tomber d'éléments de maçonnerie ou d'enduit.

Si la pièce est identifiée comme étant une cuisine collective, nous ne disposons pas des informations de lieu et de date de prise de vues, ni même des conditions précises de production du reportage. Il semble tout de même que la série d'images réalisées (1Fi5574 à 1Fi 5585) montre des équipements de cuisines, matériel de cuisson et dispositifs pour la restauration en collectivité. Il est probable que la commande vienne du fabricant de ces fourneaux et cuisinières.

Gare Matabiau, 64 boulevard Pierre-Sémard. 1904-1905. Vue d'ensemble de l'aile droite de la gare en cours de construction. Au premier plan : tas de pavés, rambarde du Canal du midi ; au fond : les bâtiments en cours de construction et échafaudages. Pierre, Henri, Désiré Laffont - Ville de Toulouse, Archives municipales, 18Fi243. Domaine public.

Gare !


juillet-août 2017

1905 : des échafaudages se dressent contre des murs blancs, neufs. Des pavés se pressent contre une balustrade qui semble clore la scène, comme pour être au plus près, voir ce qu'il va se passer. On les sent aux abois, tendus vers ce chantier impressionnant, incrédules. Oui, un événement incroyable se prépare, on en voit les coulisses. On distingue même un attroupement d'ombrelles venues spécialement se placer aux premières loges. La gare, oui, la vieille gare Matabiau va être très prochainement engloutie. Ou habillée d'une nouvelle parure. On lui a déjà passé la manche droite, bientôt la tête va disparaître, ou plutôt son fronton triangulaire à base interrompue surmontant un édicule bordé de deux pilastres. Ce dernier est flanqué de deux tables où sont inscrits les noms des villes que la ligne de chemin de fer relie : Bordeaux et Sète (qu'on écrivait Cette, avant 1928).

La première gare, inaugurée en 1856, est en travaux car ses dimensions ne suffisent plus à réguler le flot continu des voyageurs qui ne cesse de croître, préfigurant sans doute les ballets de pas chassés et croisés qui fleurissent depuis le milieu des années 1930. Un nouveau bâtiment, manteau vibrant de blancheur et d'opulence, est donc ajouté. Il emmitoufle tant le précédent qu'il finit par le faire disparaître. La gare que nous connaissons est achevée en 1906, elle a complètement digéré la précédente, conservant toutefois un souvenir des grandes arcades sur la façade extérieure du bâtiment des arrivées, ainsi que sur la façade postérieure, donnant sur les voies.

Pour en (sa)voir plus : aux archives, diantre ! Et en ligne s'il vous plaît : vous pouvez y consulter une vue du premier édifice. Et chemin (de fer) faisant, de fil en fibre (optique), vous pouvez vous promener sur Urban-hist, et découvrir d'autres illustrations, ainsi qu'une notice complète sur la gare Matabiau.

Portrait d'une femme âgée de 23 ans, 16 juillet 1855, daguerréotype 1/4 plaque, 22,5 x 23 cm. Fançois Gobinet de Villecholle dit Franck, Furioux – Ville de Toulouse, Archives municipales, 17Fi43 (détail).

Le miroir aux alouettes


juin 2017

S'il fallait retenir quelque chose de l'évolution des pratiques photographiques de ces dix dernières années, ce serait sûrement l'avènement du selfie. De mon collégien de neveu au président des États-Unis, tout le monde doit désormais se conformer à ce nouvel usage sous peine de ringardise. Les smartphones sont devenus les miroirs dans lesquels se mire notre époque. Faut-il s'en inquiéter ?

D'aucuns y voient un symptôme du narcissisme ambiant. Certes, mais le selfie existait bien avant le 21e siècle, il s'appelait juste l'autoportrait. Et d'ailleurs, il fut un temps où les photographies étaient de véritables miroirs. Un daguerréotype n'est pas autre chose qu'une plaque de cuivre recouverte d'une couche d'argent polie, sur laquelle est impressionnée une image inversée, comme un reflet.

On remarquera, comme c'est le cas ici, l'air contraint du sujet. Cela s'explique par le temps de pose qui pouvait parfois dépasser trente minutes. Pour éviter tout mouvement durant cette phase, on utilisait des mécanismes de maintien du corps qui pouvaient s'apparenter à de véritables instruments de torture. Mais que ne ferait-on pas pour devenir immortel ? Et, en même temps, si c'est pour avoir une éternelle tête de nœud...

Fermière gavant une oie. Labouche frères, carte postale N&B, 14 x 9 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi478.

Mère Oie


mai 2017

Ou « ouahhh ! », tout dépend de l'intention. Le gavage des oies, entre muguet, urnes et fête des mères, n'est pourtant pas vraiment de saison. C'est qu'en tant que nullipare, les mots « merci maman » résonnent chez moi d'une particulière façon. Me reviennent à l'esprit les gentils dessins, colliers de pâtes, bonbons, gâteaux et autres douceurs confectionnées avec candeur, puis apportés, avec une bonne dose d'excitation débordante en sautant sur le lit pour réveiller l'auteure de mes jours. En vraie mère poule, elle me gratifiait alors d'un sourire aussi large que ses bras ouverts, malgré la rencontre fortuite entre le café et la couette, l'équilibre du bol n'ayant pas résisté à ma délicatesse légendaire. Elle prenait ensuite le livre que j'avais apporté, sans doute Les contes de ma mère l'Oye, et me faisait trembler de fausse peur et d'impatience. Blottie contre elle, je me sentais prête à affronter tous les fléaux de la terre.

Ce qu'elle pensait, je n'en sais rien. Et elle ne dira jamais si je la gavais avec mes nouilles. Peut-être qu'elle aurait préféré que j'apprenne une chanson, que la maîtresse aurait inventée, et dont les paroles auraient pu être quelque chose comme « j'vous ai apporté du foie gras, parc'que les fleurs, c'est périssable... ». Nous aurions ensuite passé l'après-midi au museum, et je serais restée des heures à contempler cette vitrine approuvant de son sceau institutionnel l'entrée du gavage volatile dans le patrimoine méridional.
Le plus fascinant dans l'affaire, est sans doute la souplesse du cou de la bête, à moins que ce ne soit la tendre dextérité de mains expertes, celles-là mêmes qui tournaient les pages du livre alors que je digressais...
Ne poussons pas mère-grand dans les orties, ni même ailleurs, et plongeons-nous dans « le 9Fi » ou le fonds des cartes postales qui, comme nous vous le disions dans ce reportage, comprend près de 8000 pièces, consultables en ligne !

Conduites de chauffage urbain, détail. Toulouse, à localiser. 21 juillet 1942. Détail - plan rapproché - de conduites de chauffage urbain dans une tranchée. Photo-Star – Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi743.

Dans terre


avril 2017

Chaud devant !

Pour les sensibles au froid, rien de tel que se pelotonner devant un radiateur en marche, et pour ne plus claquer des dents, prenons une douche chaude. C'est sûr, dit comme ça, tout paraît simple. Mais les conduites, elles, ne se posent pas d'un coup de marteau-piqueur magique. Il en va d'une ville comme d'une dentition, et refaire la plomberie n'est pas chose anodine.

Grands travaux, creusement de galeries qui mettent au jour les parfois très anciennes tuyauteries, opérer des changements de direction, fixer les conduites au moyen de bagues et de vis, le tout avec force gravats, poussière, bruits stridents et douleurs… Promis, j'arrête là.

 

 

Car vous le savez autant que moi, nous vivons tous ces dérangements liés à la modernisation des équipements pour une meilleure qualité de vie. Quelle joie de pouvoir à nouveau croquer dans une pomme sucrée et juteuse, de cuisiner pour recevoir des amis sans se préoccuper de devoir recharger le poêle, bref, le luxe, comme avoir la lumière et le gaz à tous les étages. Une nouvelle conduite quoi !

Et tout cela est devenu possible à Toulouse en 1942 grâce à l'installation du réseau de chauffage à distance. Oui, m'assure-t-on, il y avait réellement de l'eau chaude dans ces tuyaux, qui fonctionnaient par paires, un pour l'aller, l'autre pour le retour à l'usine de production. Nous conservons dans les fonds deux séries de tirages représentant ces phases de travaux, où les entrailles du centre-ville ont été mises à nu.

Joseph Delmas en costume d'Adam. Atelier Vidal. 1861 ou 1862, Eugène Trutat. Négatif N&B, 12 cm x 9 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 51Fi91 (détail).

Vu


mars 2017

Le mois de mars accueille la fête des grand-mères, suivie de peu par la journée internationale du droit des femmes. Après, plus rien, à part peut-être le printemps, le renouveau, les bourgeons, le retour de la sève, la vie, tout ça. Ce n'est pas pour rien que le mois de mars était le premier mois de l'année avant que Jules César ne s'en mêle, mais ce n'est pas notre sujet. En revanche, il me plaît de penser que la figure divine, symbole de la guerre, de la force, de la virilité, de l'homme (diantre !), abrite en son sein la petite journée dédiée aux droits des femmes, perdue parmi une horde d'autres journées hostiles. Comme si les femmes se logeaient quelque part sur une côte, brindilles apportant aussi dans leurs bourgeons vie et renouveau. Finalement, le monde est fait de contradictions, d'imbrications, souvent en faveur des uns et au détriment des unes.

Qui censure, pourquoi, et que censure-t-on ?

Le pouvoir (je vous incite à vous rapprocher des ouvrages de Michel Foucault pour comprendre que le pouvoir est partout, se loge dans chaque relation sociale, et n'est pas nécessairement le produit d'une hiérarchie). Pour se protéger d'un danger. Il censure donc tout ce qui pourrait mettre en cause son pouvoir et l'ordre qui en découle. Finalement, pour résumer, on censure pour protéger l'organe qui censure. On empêche de savoir, parce que chacun sait que la connaissance est dangereuse. Regardez où la soif de savoir a conduit ce pauvre Adam, lui qui se ramollissait doucement le cerveau bercé d'illusions, d'équité, et de fruits défendus. Heureusement qu'Eve l'a aidé à sortir de sa torpeur, lui a montré la vérité en face. Rendez-vous compte ! Il n'aurait jamais su que nous serions condamnés à vivre nus, avec une pancarte noire sur nos attributs, privés de jus de pommes, entourés de serpents dans un monde où les frères s'entretueraient et la grande majorité des femmes n'aurait leur mot à dire...

Revenons à notre mouton, qui n'est pas censuré, lui, du moins pas dans les archives en ligne. Photographié par Eugène Trutat, il fait partie de la collection des Toulousains de Toulouse en dépôt dans nos magasins, comme les près de 3000 plaques de verre numérisées et accessibles en ligne du fonds 51Fi.

Décors, tableaux et sculptures des salles de l'hôtel de ville dit Capitole : salle du conseil municipal. Les Vendanges, par Henri Bonis. Stéphanie Renard – Ville de Toulouse, Archives municipales, 4Num5/32 (détail).

Non merci, jamais pendant le service, de plus je préfère le rouge.


février 2017
En janvier, après les soldes, c'est le blanc. Avant le nettoyage de printemps, on commence à rafraîchir les atmosphères confinées de nos habitations, où flottent encore parfois quelques relents festifs de dinde, de galettes et bientôt de crêpes. Champagne, mousseux, clairette, citrate de bétaïne ou Alka Seltzer, que de boissons légères aux vertus plus ou moins bienfaisantes et dont le point commun est leur couleur, réelle ou promulguée, blanche.
Notons qu'en matière de boissons, l'art de la litote emploie beaucoup les couleurs, comme si cette celle-ci permettait de couvrir un tabou d'un voile recommandable, pur et innocent comme une tête blonde à l'âge où elle apprend que le mouton est blanc, grise la souris, jaune le lion et vert le crocodile. Étonnons-nous après que la langue française soit réputée difficile, alors qu'elle n'est qu'imagée. Comment expliquer que l'on peut commander un p'tit noir serré, un jaune ou du rouge à un homme vêtu de noir et de blanc, qu'on peut lui demander un verre mais pas un vert, qu'on envoie balader le vendeur de roses, qu'il est troublant de s'y pointer avec des bleus (mais que si ce sont les Bleus, attention, on risque de finir gris), et que finalement, l'emblème de la ville rose, construite couleur brique, est la violette ? C'est à y perdre son latin ou son occitan.
Heureusement il existe un monde où les choses sont simples, il se trouve somewhere over the rainbow, on y fait les vendanges entourés d'enfants joueurs à l'heure où les rayons de soleil ruissellent sur les grappes bleues de vignes vigoureuses. Ce monde enchanté existe bien : je l'ai vu, je l'ai même photographié ! Il se trouve dans la salle du conseil municipal, au Capitole, et est représenté par Henri Bonis, qui y mettait en valeur, au tournant du siècle dernier et de l'avant-dernier les produits toulousains.
Rappelons que le produit de la vigne ne se consomme pas pendant les séances du conseil et que, d'autre part, il est bon d'en user avec modération.
Exemplaire de voiturette électrique, rue du Poids de l'Huile, 8 mars 1974. Direction de la Communication - Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi2714.

Vroum.


janvier 2017

Feu. Feu les embouteillages, feu les difficultés de stationnement, feu la pollution aux particules fines, feu le bruit des moteurs, feu le casse-tête pour ranger les valises et mamie dans le coffre, et les disputes pour savoir qui prend le volant. La voiturette électrique serait LA solution à tous nos problèmes existentiels. Et comme elle vivrait avec son temps, elle pourrait se trouver en version « responsive » !

Imaginez la berline dans le garage de la maison : elle ferait l'émerveillement des amis, vous pourriez y prendre place en famille, prêts à partir pour les pistes. Adaptable à la ville, elle se faufilerait partout en taille mini, se garant comme sur la photo, et puis le soir, on la rangerait comme le téléphone, dans la poche arrière du jean, après l'avoir repliée comme une tente de camping. Pop ! Eh bien, elle a existé cette voiture, il y a des preuves, photos non retouchées à l'appui.


Alors quoi, trop en avance sur son temps ? Trop individualiste pour une France en explosion démographique ? Trop petite pour une société qui voulait voir les choses en grand ?

Dans ces années-là, faute de pétrole, on avait des idées… Pour une plongée dans le Toulouse des années 1970, faites donc un petit tour du côté des nouvelles numérisations du « 15Fi », le fonds de la direction de Communication de la ville, créé par Pierre Baudis en 1972 sous le nom de STC (service des techniques de communication), et qui contient près de 11 000 reportages, dont 3 000 sont en cours de traitement et déjà en ligne.

Garonne, pont du Garigliano. 23 août 1974. Reportage sur les travaux de creusement et de coffrage du passage souterrain du pont Garigliano. Pôle image de la direction de la Communication. Ville de Toulouse, Archives municipales, 15Fi1209/4.

Grillé.


décembre 2016

Ou presque grillagé, ou derrière les barreaux, ou comme un lion en cage. Ou alors quadrillé, tiens, oui, quadrillé. Comme un artiste qui, en voulant reproduire son paysage, aurait aussi reproduit la grille lui permettant de le faire... C'est bien, on peut jouer à la bataille navale avec toutes ces cases : touché-coulé ! Soyons un peu légers, ce monde est bien lourd. Nous avons la vue obstruée par les grilles du quotidien, le corps empêché par l'armure de la société, les idées toutes pensées par le carcan de l'habitude, nous manquons d'air, étouffés que nous sommes par la pollution atmosphérique de ces temps apocalyptiques... Ce qu'il nous faudrait, c'est prendre un peu de hauteur. Tiens, essayons. Sortons du cadre de cette photo, et grimpons sur le toit de l'immeuble, oui, celui-là, là. Ou si vous avez le vertige, placez-vous au moins à la fenêtre la plus haute. Voilà. Comme ça, à l'air libre, la vue dégagée, du moins en 1974 elle l'était encore.

A cette époque, la circulation alternée n'existait pas, on pouvait rouler sur n'importe quelle voie, on pouvait brûler du gasoil, klaxonner, griller les feux, rouler sans casque : la circulation à Toulouse était un enfer. Ville engorgée, ville asphyxiée. On n'y croit pas quand c'est dit comme ça, mais je vous assure, j'ai vu des photos (et vous en verrez aussi sous peu...). D'ailleurs ce fut un des grands chantiers de Pierre Baudis : réguler la circulation, fluidifier les déplacements dans et autour de la ville. Comment ? En mettant en place les rocades, les bretelles à deux fois deux voies, comme ici, boulevard du Maréchal Juin, près de l'Île du Ramier au niveau du pont de Garigliano. Mais aussi en sensibilisant la jeunesse à la civilisation routière, vous voulez voir ? Montez donc salle Henri-Martin [NDLR : au Capitole] à partir de demain... l'exposition sur Pierre Baudis vous y attend ! Allez, un petit teasing en attendant.

Pile du vieux pont suspendu, après dynamitage. Vestiges d'une pile du pont Saint-Pierre avec, en arrière-plan, l'usine et la chaussée du Bazacle. Cliché Francis Alexandre, direction de la communication. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi1202.

Pile.


novembre 2016

Comme une chaloupe de pierre échouée en pleine Garonne, fermant la porte sur un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, l'ancien pont Saint-Pierre expirait ici, soufflé par la dynamite. Boum.

La photographie du sous-œuvre éventré que nous avons ici nous livre sans ambages la face cachée de la pile, son intérieur, son intimité, son moi profond, si je puis dire. Et, nous transformant un instant en augure, on voit très bien dans ces entrailles le blocage (ou remplissage) de béton derrière le parement de briques, remontant à la construction du premier pont. L'autopsie ainsi réalisée détermine donc que le cadavre naquit en 1852 : paix à son âme.

Des restes de cette pile, tel un bateau de pierre ivre de soleil sous un ciel d'azur, allaient renaître en 1986 un ouvrage d'art, d'esthétique plus légère sur une nouvelle structure, réalisé par l'entreprise Campenon-Bernard. Le cinquième pont Saint-Pierre, le nôtre, avec ses piles neuves, est parti pour durer au moins deux fois plus longtemps que les quatre précédents. En revanche, l'arche suspendue des temps jadis est, elle, bel et bien perdue.

[Pyrénées. Gavarnie. Brèche de Roland] - Mention manuscrite sur la plaque : « 108 ». Vue d'ensemble panoramique.Négatif NB sur plaque de verre, 13 × 27 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 67Fi122.

Roland


octobre 2016

Oui, il y a un olifant au musée Paul-Dupuy, celui-là même qui aurait servi au neveu à prévenir son Charlemagne d'oncle que l'arrière-garde était tombée en embuscade, pour faire court. Mais laissons le cor où il est, et prenons le décor à bras le corps.
La composition étagée de l'image montre des strates minérales, plus ou moins accidentées, qui s'étendent du premier à l'arrière-plan, de gauche à droite, avant de laisser un morceau de ciel, là, tout en haut, respirer. Ouf. À la lisière entre la terre et l'air, une curieuse bande rocheuse en pointillés s'érige, mystérieuse, dans un sourire édenté.
Nous ne sommes pas au Far West, John Wayne ne va pas dévaler la pente sur un cheval fougueux, pas plus que Tornado ne va se cabrer sous un éclair vengeur. Non. En revanche, nous pouvons admirer le résultat de la colère (ou du désespoir) de Roland qui, voulant détruire son épée avant de mourir, la jette contre la montagne... qui ouvre une brèche (oui m'sieurs, dames) ! À moins que ce ne soit son cheval qui frappa du sabot, mu sous les mêmes tourments que le maître. Peu importe la version, pourvu qu'on ait l'ivresse, la féerie de l'imagination, et que, par le bout de la lorgnette montagneuse, l'on puisse voir, de l'autre côté... l'Espagne !

L'abbé Ludovic Gaurier (1875-1931) était un pyrénéiste et limnologue éminent du début du 20e siècle. Il a laissé de nombreuses photos de ses expéditions en montagne, dont les Archives municipales de Toulouse conservent un fonds constitué de plaques de verre. Vous les trouverez dans la sous-série 67Fi.

Montres solaires en laiton gravé (avec boussole). Cliché : pôle image de la direction de la Communication. Ville de Toulouse, Archives municipales,15 Fi 3062.

Ô.


septembre 2016

Comme un sou neuf, ils brillent. Que sont-ce ? Deux cadrans solaires horizontaux, en laiton, avec boussoles intégrées s'il vous plaît, conservés au musée Paul Dupuy. De tels instruments de mesure furent créés par un ingénieur de Louis XIV, ceux-ci étant signés de l'un de ses successeurs, Jean Lefébure, actif sous Louis XV.

Voyez-donc sur ce détail le petit index en forme d'oiseau dont le bec pointe sur les graduations des latitudes. Oui, parce que nous ne sommes qu'au 18e siècle, et que Tom-Tom® n'est pas encore sur le marché, il faut indiquer à la montre à quelle distance et inclinaison se trouve le soleil. Ces petits objets, dont nous n'avons ici que des photos, sont apparentés à la section horlogerie du musée. Normal : ils donnent l'heure. Et le nord.

Et avoir un nord, c'est bien. Pour les tête-en-l'air et les déboussolés, pour les voyageurs et les indécis, pour ceux qui vont et ceux qui viennent, c'est important d'avoir une direction, un chef de travaux, une ligne directrice, un fil d'Ariane. Nous sommes le territoire, nous avons la carte, arrive la rose des vents, le point cardinal : nous avons un nouveau directeur !

Pose des rails du tramway, 04-04-1929. Carrefour rue Alsace-rue de Metz; Place Esquirol. 4 avril-1929. Vue d'ensemble en plongée. Louis Albinet. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2 Fi 788.

Oust


juillet-août 2016

« Hit the road, Jack », dehors et place à la relève, à la nouveauté, à la technologie. Autrement dit, on ôte les vieux rails qui commencent à dater (1887, on peut dire que ça date) et on dote la place Esquirol de l'aiguillage complexe qui lui échoit. En tant que croisée des chemins, ou du moins des deux axes du cœur de ville, elle est centrale dans le réseau des transports de la Société des Transports en Commun de la Région Toulousaine.

Nous sommes en avril 1929, et, depuis 2 ans, Léon Planchot, qui a du pain sur l'ouvrage, remet sur rails et dans le droit chemin la STCRT. L'heure est au changement -c'est-maintenant-, et quand il s'agit de moderniser, on n'y va pas avec le dos de la pioche : on remplace. C'est pourtant le début de la fin, le déclin pas encore annoncé du tramway toulousain, qui, tandis que la Garonne continue de filer sous ses ponts pavés de bonnes intentions, se voit peu à peu concurrencé puis remplacé par l'autobus, dont les premières lignes circulent déjà en cette année 1929.

Aujourd'hui, les rails ont disparu mais pas la circulation, les bâtiments sont toujours là même si les commerces qu'ils abritaient ont changé. Ainsi va la vie, les routes se croisent et s'en vont, chacune vers son horizon, ou du moins jusqu'à la station suivante. Estacion venanta esquiròl [ɛstajubenɛntoɛskirɔl].

Transport d'arbre au domaine de la Flambelle. 17 septembre 1964. André Cros. Ville de Toulouse, Archives municipales, 53 Fi 4750.

Recyclage


juin 2016

Recycler, c'est réutiliser ce qui existe et qui ne sert plus, autrement dit, faire du neuf avec du vieux. Et en matière de vieux, aux Archives, on a de quoi faire (non, je ne parle pas du personnel.) Mais de là à dire que le vieux ne sert plus, il y a plusieurs pas que je ne franchirai pas (je tiens à ma place). Et même, je vais vous faire une confidence, les archives ne sont pas recyclées. Non non non, on n'envoie pas les tonnes de papier entreposées dans les magasins se faire mâcher, digérer, et finir en cahiers d'écoliers.

En revanche, on recycle ce que l'on veut pour Arcanes. La photographie étant plutôt mauvaise élève en matière de recyclage, je me suis dit que mine de rien, j'allais dévier de la trajectoire. Car, voyez-vous, deux solutions s'offraient à moi : soit recycler un article ancien de cette lettre, soit parler de réutilisation au sens plus large. Alea jacta est, j'ai choisi la deuxième, et par l'exemple, s'il vous plaît.

Et hop, ni vu ni connu, voici une image d'André Cros commandée par la pépinière de la Flambelle en 1964. Nous la recyclons ici, sur le site des Archives, pour illustrer l'outil de recherche en ligne, où vous trouverez certainement de quoi vous éviter le déplacement, et les émissions de CO2 qui vont avec !
La prochaine fois, on la sérigraphie sur des tee-shirts ;)

21. Exposition de Toulouse 1908. Édition officielle. Village Noir. Famille Sénégalaise. Jardin des plantes. Mai-octobre 1908. Portrait en pied d'une famille sénégalaise de quatre personnes posant devant une case du Village noir, à l'occasion de l'exposition internationale de Toulouse en 1908. Au verso, tampon : "collection Warnant". Carte postale NB, 9 x 14 cm, Provost. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9 Fi 227.

Noir.


mai 2016

Faut voir. D'autres sont vus, ou regardés. C'est une question de point de vue. La grande tradition des non moins grandes expositions internationales de la fin du 19e et début du 20e siècles en faisait son sujet : venir voir. Tout. Et le tout Toulouse, en 1908, se pressa pour mirer les avancées techniques, agricoles, industrielles, la mode, les génies civil et militaire, l'éducation et l'enseignement, et les colonies. Oui, les colonies, pas celles que l'on chante et qui sont jolies, non, les autres, celles qui déchantent. Et vraiment, fallait le voir, il y avait Le Village Noir. Avec de vrais noirs dedans, venus tout exprès, de fort fort loin, Sénégal, Congo et Soudan. Presque cent personnes ont ainsi vécu six mois au Jardin des plantes, sous les yeux curieux des visiteurs toulousains.

Cette idée est gênante aujourd'hui, parquer des quidams d'outre-méditerranée ou d'ailleurs, d'ailleurs, voyons ! L'homme n'est pas un animal ! Enfin, en ces temps-lointains, du moins. Parce qu'il a suffi, d'avancées scientifiques en progrès technologiques, que l'usage de la caméra, déjà en vogue, s'immisce dans nos vies, et de nos jours, c'est une autre histoire. Non, maintenant, on enferme les gens de leur plein gré dans des maisons avec jardin à plantes et bassin d'agrément, simplement pour les regarder vivre pendant 6 mois... Et si l'origine de la télé-réalité remontait finalement à l'exposition internationale de Toulouse de 1908 ?

Vers 1860. Attribué à Eugène Trutat. Plaque stéréoscopique au collodion humide. Vieille femme assise, en extérieur, avec coiffe et châle. Ville de Toulouse, Archives municipales, 51 Fi 2453.

Humide


avril 2016

Surtout. Il le faut encore humide sur sa plaque de verre, pendant l'exposition, mais surtout, il le faut encore humide au moment du développement. Parce qu'une fois sec il devient imperméable, donc indéveloppable. Nous parlons ici de collodion. Humide. Collodion humide. C'est LE procédé photographique moderne des années 1850-1851, celui qui révolutionne la prise de vues, qui permet de passer de plusieurs minutes de pose à quelques secondes, tout en conservant une très grande finesse de rendu.

Imaginez, vous pouvez enfin prétendre photographier un être vivant ET reproduire l'image obtenue (ce qui n'était pas possible avec le daguerréotype). En revanche, vous devez être parfaitement équipé d'un petit laboratoire portatif, pour passer fissa la plaque exposée dans ses bains de révélateur et fixateur. Bertrand Lavédrine* nous raconte dans son ouvrage sur les photographies anciennes que l'une des premières expéditions parties photographier le Mont-Blanc en 1861 transportait pas moins de 250 kg de matériel, nécessaires même s'il n'y avait eu qu'un seul négatif. Nous sommes d'accord, un smartphone aurait aussi bien fait l'affaire. (Ah, non, nous ne sommes pas d'accord ? D'accord.)
Mais à propos de montagne, de grand air et d'environnement, le collodion humide, ce n'est pas de l'eau de source. Entrent dans sa composition : du nitrate de cellulose, de l'alcool, et de l'éther. Puis, pour le rentre sensible à la lumière (et lui donner un quelconque intérêt, fut-ce celui de devenir une photographie encore exploitable 166 ans après sa création (... qui parlait de smartphone...?) ), il faut encore y adjoindre les sels d'argent (de la photographie argentique, la boucle est bouclée).

Sincèrement, je ne me risquerais pas à aller goûter au contenu du flacon (même s'il y a l'ivresse), mais je veux bien vous montrer le résultat, qui fait toujours son petit effet, puisque la plaque de verre apparaît comme un négatif lorsqu'elle est posée devant un fond clair, et comme un positif si elle est devant un fond noir.

*Source : Bertrand Lavédrine, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, C.T.H.S., Paris, 2007.

[Rue piétonne. La rue Saint-Rome]. Rue Saint-Rome. 7 décembre 1974. Pierre Baudis, maire de Toulouse, inaugure la rue Saint-Rome, première rue piétonne en coupant un ruban, entouré par la foule attentive ; un mannequin est pendu devant une façade commerciale avec un panneau promotionnel. Photographie NB, 14,5 x 23 cm. Atelier municipal de photographie. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2 Fi 3504.

Mu


mars 2016

Promotion. Promouvoir. Pro-mouvoir, littéralement mouvoir en avant, bouger, se mettre en marche quoi. Ou aller au marché, se balader dans les rues au gré du marché, battre le pavé ou le jeter dans la mare... non, je m'égare. Alors la promotion, qu'est-ce finalement, et pourquoi une photo de badauds et badaudes à l'arrêt devant le ruban ?

Est-ce que Pierre Baudis inaugurant la « piétonté » de la rue Saint Rome est en pro-mouvance ? L'heure est plutôt à l'a-motion (im-motion... im-mobilité) en ce moment de recueillement devant les deux lames de métal qui se meuvent l'une contre l'autre dans un crissement sourd avant de séparer à tout jamais deux bandes de fibres qui s'en sont allées choir sur les pavés provocant l'acclamation de la foule en liesse...

A moins que ce recueillement ne soit celui de rigueur devant la roideur immobile d'un article en promotion, là, à quelques centimètres au-dessus de l'édile prononçant, qui sait, l'oraison de la crise battant son plein en ces années noires... 1974, ou comment l'un des deux axes principaux de la ville antique s'était transformé (ou finalement si peu), en mille neuf cent soixante ans ?

D'une rue de mouvement en une rue de mouvance, d'un donjon à une réserve d'eau, des archives à un ailleurs, de Toulouse à Paris, tout bouge. Notre conservateur en chef se meut, il a de l'avancement, il est promu.

Porte du couvent des Dominicains à Toulouse au moment des expulsions. Couvent des Dominicains (détruit) actuellement résidence hôtel de Mansencal, 3bis rue Espinasse. 1903. Porte de l'ancien couvent des Dominicains, sans son battant, murée par un étagement de matériaux de construction ; gravats devant la porte, échelle posée sur la grille d'une fenêtre. Photographie NB collée sur carton, 29 x 22 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 3 Fi 239.

Porte de la Sainte Échelle


février 2016

Enquête.
Une porte, sans porte, ouverte sur un étagement de matériaux de construction qui bloquent entièrement l'accès à l'intérieur, est surmontée d'une croix. A gauche de la porte, une fenêtre, barrée d'une grille scellée dans la maçonnerie, reçoit les montants d'une échelle. Au sol des débris de ce qui peut passer pour la porte, une poutre, une hache et un pied de biche. Contre le bord droit de la photographie, une gouttière descend discrètement le long du mur avant d'y disparaître et d'en ressortir au bas, gueule ouverte.

Tout dans cette image est muralité, obstruction, enfermement. Qu'est-ce ?
Parfois l'on n'y voit goutte. J'ai beau chercher un indice, rien.
Au dos du carton une inscription mentionne « porte du couvent des Dominicains à Toulouse au moment des expulsions ». Bon. Suis-je plus avancée ? J'aimerais comprendre, mais je commence à divaguer. Finalement, cette porte n'ouvre sur rien, la foi, qui pourrait m'aider, comme l'indique fièrement la croix, attestant la bonne foi du bâtiment, est bafouée. Une échelle, vite, sortir de ce mauvais pas, je grimpe et me heurte aux barreaux, c'était un leurre, quel effroi.

Mais pourtant, en 1905, quand l'État se démet de l'Église et expulse les congrégations de leurs fiefs, les dominicains ne sont déjà plus là depuis belle lurette. Ils ont pris la poudre d'escampette à la Révolution, remplacés par des chevaux nous a-t-on dit, mais manifestement par des briques, planches et linteaux, sagement étagés, en ordre de bataille, prêts à bondir sous la hache, grimper à l'échelle et s'atteler à la restauration du lieu. Et moi, à la mission à laquelle je m'étais dignement assignée dans le but de vous offrir une réponse à l'incandescente question de où-quand-comment-qui-et-pourquoi, du haut de mon ignorance, au faîte de la technologie moderne, abondamment abreuvée d'informations à portée de soif, au terme échu, j'ai chu. Le photographe m'a enfermée dans son cadre, j'y finirai sans doute, gueule ouverte, à moins que... par la gouttière... mais chut !

Ah mais... moribonde, je perçois dans mon oreillette une voix grésillante s'élever doucement. « Pas si vite » me susurre-t-on, « les congrégations, qui auraient dû demander dès 1901 (et sa fameuse loi) une autorisation pour exister légalement, furent donc jetées à la rue, sans autre forme de procès, dès 1903. » Quelle fin ! J'en agonise de plus belle. « Et ce n'est pas tout », assure la voix sibylline qui me semble à présent venir d'outre-monde : « détruit bien plus tard, le bâtiment laisse aujourd'hui la place à la résidence d'habitation « Hôtel Mansencal », au 3bis rue Espinasse ». C'en est fait de moi comme du reste de mon corps, j'expire mon dernier souffle. Je fus.

Allez... parce que c'est vous, une version retouchée de notre Sainte Echelle, téléchargeable.

[Inondations de 1875]. Rue du Pont-Saint-Pierre, quartier Saint-Cyprien. Fin juin 1875. Vue d'ensemble de la rue après l'inondation du 23 juin 1875. Au second plan le dôme de La Grave. Cliché collé sur carton, format du tirage : 16 x 21 cm, 1875, photographie NB. Fait partie de l'album "Inondation de Toulouse. 23 juin 1875. Provost Père & Fils". Ville de Toulouse, Archives municipales, 16 Fi 20/4.

Débit de l'eau


janvier 2016

Les 23 et 24 juin 1875, la Garonne a déferlé sur Toulouse et ravagé la ville, des Sept-Deniers à Saint-Michel. Jules Chalande évoque 208 morts. On aurait dénombré, entre autres, 1219 maisons écroulées et 3 ponts balayés (Saint-Michel, Empalot, Saint-Pierre). Seul le Pont Neuf a résisté. Ce bilan accablant a marqué Toulouse car cette crue reste la plus dévastatrice que la ville ait connue dans son histoire.
La Garonne menaçait les zones de plaine depuis le 21 juin. Aux pluies diluviennes sont venues s'ajouter les eaux résultant de la fonte des neiges. Le 23, la prairie des Filtres était recouverte et progressivement le fleuve s'est transformé en torrent qui dévasta tout sur son passage.

Le quartier Saint-Cyprien a été particulièrement touché par l'inondation. « Saint-Cyprien, hier encore si florissant, si animé, si vivant, repose aujourd'hui dans le lugubre silence de la mort, qui l'a enveloppé d'un double linceul apporté par le même fléau, - l'eau du fleuve débordé et les matériaux de ses constructions, qui ne sont plus que des décombres souillés de boue », voici ce qu'écrit Théophile Astrie en 1875.

Joseph Provost et son fils, photographes officiels des inondations de Toulouse avec d'autres, ont pris de nombreux clichés à cette occasion, images diffusées dans des albums commémoratifs. Cette vue spectaculaire pourrait, sans légende, donner à croire qu'un séisme, ou une guerre, a ravagé la ville.

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[Portrait d'une enfant sur un tricycle à tête de cheval]. Entre 1867 et 1870. Portrait carte de visite, papier albuminé collé sur carton. Au dos, publicité : "Provost. Photographe. 23, rue Louis Napoléon, 23. Toulouse". 10 x 6,5 cm. Jacques-Joseph Provost dit Joseph Provost. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1 Fi 5473.

Du jouet comme accessoire photographique...


décembre 2015

L'invention par Eugène Disdéri, en 1854, du portrait au format carte-de-visite, va connaître un succès exceptionnel, et toute la bonne société du Second Empire va vouloir disposer de son album de famille.

On y trouvera en bonne place, à côté des ancêtres, les images des membres de la famille impériale, de ministres, de militaires, d'ecclésiastiques. Et l'on aura également à cœur d'y présenter bien évidemment sa propre famille. Mais pour pouvoir soutenir la comparaison avec le reste de la société bourgeoise de l'époque, il fallait se montrer sous ses meilleurs atours. Pour cela, les photographes mettent à la disposition de leurs clients à la fois toute une garde-robe, une série d'accessoires allant du fauteuil et du guéridon et, pour les enfants, un assortiment de jouets qui devait faire ressembler la salle d'attente en une annexe de la Samaritaine.

Ici, le choix s'est porté sur un superbe tricycle doté d'un guidon en forme de cheval de bois. C'est un type d'objet que l'on retrouve souvent sur les clichés de cette période et qui semble avoir été en tête du hit-parade des jouets de l'époque. On notera cependant le sérieux de l'enfant qui paraît hypnotisé par le photographe...

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Types toulousains. 10. Le petit athlète. Jamais assez ! Carte postale N&B, 14 x 9 cm, phototypie. Edition Labouche frères, cliché Charles Armand Baudillon. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9 Fi 5130.

Toute ma vie j’ai rêvé d’être… un gros costaud !


novembre 2015
Et c'est ce dont rêve certainement déjà ce « petit athlète » photographié dans l'atelier de Baudillon et édité dans la série « Types toulousains » des frères Labouche. Et comment douter que ce rêve pourrait se réaliser pour lui lorsque l'on voit la facilité qu'il a de tenir à bout de bras, sur les doigts, cette pierre qui semble tout droit sortie du lit de la Garonne ? Une seule ne lui suffisant pas, il en a apporté deux autres qui attendent à ses pieds qu'il veuille bien s'en occuper et qui justifient la légende « Jamais assez ! ». Il a déjà toute la tenue de l'athlète adulte de l'époque, des sandales blanches au pantalon de toile, du « marcel » rayé à la ceinture certainement colorée qui lui tient les reins. Pour lui, on sent bien dans son regard sérieux et concentré qu'il fera tout pour réaliser ce rêve. Pour moi…
arcanes58
La guerre 1914 à Toulouse. 1re série n° 2. Les blessés. La première étape sur la civière, après un douloureux voyage. Carte postale N&B, 9 x 14 cm, phototypie. Édition historique de l'Ancienne Photographie Provost, 1914. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9 Fi 4921.

Les premiers blessés de la guerre de 14


octobre 2015

Parmi les nombreuses séries de cartes postales réalisées à Toulouse lors des premiers mois de la guerre en 1914, on en trouve une éditée par « l'Ancienne photographie Provost » spécifiquement consacrée aux soldats français blessés.

Les premiers arrivèrent en gare Matabiau au tout début du mois de septembre, peu de temps après leurs homologues allemands prisonniers. Le Cri de Toulouse du 26 de ce mois rapporte l'émotion que ces convois suscitaient chez les Toulousains : « La foule fait la haie sur leur passage, on les acclame ; mieux, simplement, respectueusement, les têtes se découvrent. Des larmes coulent, silencieusement, des yeux des femmes ; c'est tout un déploiement clandestin de petits mouchoirs ». Amenés dans des ambulances ou en tramways dans les divers hôpitaux mis en place dans la ville, ils y passaient quelques semaines loin du front avant de repartir dans l'enfer des tranchées.

Pour en savoir plus, n'hésitez pas à commander l'ouvrage édité par les Archives municipales « Toulouse, 1914-1919. Cartes postales photographiques » et à vous promener dans la Toulouse de la Grande guerre en visualisant la carte thématique « Sur les traces de 1914-1918 dans Urban-Hist.

« Modèle du plan général, A ». Encre et gouache sur papier. Sans date, auteur inconnu. Ville de Toulouse, Archives municipales, ii 738 détail.

Toulouse, la ville qui n'existait pas