Pas pire ou probablement pas mieux que nous, nos aïeux avaient tous en eux quelque chose de sacré. Quand on y touchait il risquait d'y avoir un os, et cela pouvait faire bien mal, gêner, voire empêcher tout mouvement.
Avec l'os sacrum, nous touchons en effet le sanctum sanctorum. Voyez Bertrand Sentous, racher de son état, ou radger (bref, il est radelier), basé au port Garaud. Et ce matin du 8 août 1710, il y a bagarre. Un coup d'arpette sur les reins lui laisse une vilaine « equimose ou contusion sur la vertèbre supérieure de l'os sacrum, de la largeur de deux travers de doit »1. Et le chirurgien qui le soigne de déclarer que la « susdite blesseure empeschant la souplesse des muscles[s] des lombes, ce qui peut empescher aussi le blessé de ce courber pour travailler jusqu'à la dissolution du sang épanché(s) ». En d'autres termes, Bertrand est au repos forcé pour huit jours.
En 1755, Raymonde Aubaret, veuve d'un sculpteur a des mots avec un colocataire. De verbe au geste il n'y a qu'un pas et elle reçoit un coup qui l'étend au sol. Le chirurgien qui vient la voir note qu'elle se plaint « d'une grande douleur à l'extrémité inférieure de l'épine, vers l'os sacrom »2 ; après l'avoir examinée, il lui trouve « une rougeur qui n'étoit pas bien considérable ». Cependant, ajoute-t-il, « elle ne pouvoir pas supporter que j'y touchasse sans ressantir de vives douleurs ». Cinq ans plus tard, c'est Simon Prohenque qui se fait ausculter après une rixe. Le chirurgien trouve « une contusion de la grandeur de la paulme de l[a] main sur l'os sacrom »3, le saigne illico et estime que le patient pourra être guéri « dans quizaine, sauf autres accidents qui pouroit ce déclarer, jusqu'au soisentième jour ». Il est vrai qu'outre le sacrum, Prohenques a aussi été cabossé à la tête.
Et ceux qui ont pris de la hauteur et qui ne s'intéressent guère au commun des mortels, pourront se délecter à la lecture de la « Description des ossemens du glorieux St Emond, martir, roy d'Engleterre, qui feurent tr[o]uvés dans son sépulchre à la voûte des corps saincts de l'église St Sernin le 16e juillet 1644 »4. La chronique des Annales manuscrites des capitouls y consacre quelques pages5. Nous livrons le squelette en l'état afin que les sceptiques puissent s'assurer qu'il n'y a pas eu mélange ou fraude avec un côte ou un fémur de trop.
De toute façon, l'important pour nous aujourd'hui est de retrouver le sacrum :
- la teste toute entière avec trois dents de la mâchoire supérieure,
- la mâchoiere inférieure avec sept dents,
- cinquante pièces des costes, faisans les vingt-quatre,
- la partie supérieure de l'os sternum,
- autre grande pièce de l'os esternum,
- deux clavicules,
- l'os sacrum,
- les deux os cleon avec le pubis,
- six pièces d'os faisans les homoplates,
- deux os dits humérus,
- un os de l'avant-bras dit cubitus, quasi entier,
- autre os dit cubitus, d'un demi-pied de long,
- un os dit radieus, coupé,
- huit os des métacarpes,
- trante os des phalanges des doits des deux mains,
- les deux os des cuisses, dits fémurs,
- les deux os des jambes, dits fémurs,
- les deux os des jambes dits tibias
- les deux autres os des jambes, dits rayons ou peronné ou fibula,
- les deux os dits rotula, ou pateles des genous,
- quatorse os des tarsses de deux pieds, sçavoier deux caléanes, deux caboïdes, deux astragales, deux naviculaires, et les six anonimes,
- dix os aussy anonimes,
- vingt huit os des phalanges des orteils.
À y être, on en profita aussi pour faire l'inventaire d'autres reliques. Ainsi parmi les ossements de saint Symphorien et saint Castor, se trouve « l'os sacrum avec le coccis » ; nous ne saurons précisément auquel des deux saints cet os fondamental appartenait. Plus compliqué encore, la caisse qui contenait les saints Clavele, Nicostrat et Simplicien : là, pêle-mêle dans un monceau d'osselets, gisent un os sacrum entier, les fragments d'un autre, et enfin un troisième en quatre morceaux.
Ceux qui voudraient invoquer tel saint en particulier risquent de tomber sur un os ; ils ont une chance sur deux, voire sur trois, d'invoquer le bon sacrum.
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1. FF 754/3, procédure # 039, du 8 août 1710.
2. FF 799/4, procédure # 124, du 28 juin 1755.
3. FF 804/1, procédure # 018, du 28 janvier 1760.
4. L'élévation de ses reliques avait été décidée 14 ans plus tôt, alors que le corps de ville avait invoqué l'assistance dudit Saint-Edmond afin de sauver la ville ravagée par la peste ; cela a donné lieu à de grandioses célébrations narrées par le menu dans la chronique de cette année 1644.
5. BB 279, chronique 316, année 1644, p. 376-377.