Lorsque vient le moment de mourir, il n'est pas donné à tous de déclamer une belle phrase qui restera gravée dans l’esprit de ceux qui assistent aux derniers instants du postulant aux hauteurs célestes. Ces derniers mots qui, empreints de détachement, élèveront l’âme de ceux qui les recueillent et bientôt les coucheront dans des manuels scolaires pour l'édification des générations futures.
Saviez-vous que les Archives municipales de Toulouse conservent un nombre conséquent de paroles prononcées dans un soupir ou un dernier râle ? Certes, vous n'y trouverez pas de « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font » ni même de « Tu montreras ma tête au peuple ; elle en vaut bien la peine ». Pourtant les phrases d'illustres inconnus toulousains qui vont suivre n’en sont pas moins touchantes, d'autant plus que, contrairement aux deux précitées, comme elles n’ont pas pu être préparées à l’avance, les nôtres portent en elles cette fraîcheur de la spontanéité…
« Mon Dieu il y a bien de l'eau icy » prononce Aymé Chapotin avant d’être entièrement englouti dans la Garonne en 1741 (il renvoie ainsi à ses chères études Mac Mahon avec sa pauvre phrase « Que d’eau, que d’eau » – mais, pour sa défense, le maréchal-président ne se noyait pas).
« Ha, mon Dieu, on vient de me donner un coup de couteau dans le ventre ! », dit Rapas avant de s'écrouler un soir d’août 1763. Clair et concis dans ses derniers mots, Rapas trépasse bientôt après. En cela, il imitait un prédécesseur, Pierre Dejean, qui en 1704, percé à mort par la broche d’un cuisinier, s'était exclamé d'une manière directe mais plus grossière : « Je suis mort ! Ce malheureux m'a crevé d’un coup de ladite broche ! »
En 1736, percé d’un coup d'épée à la joue, le jeune Duhaget lance à l'adresse des personnes qui assistent à son agression « Souvenez-vous de ce qui vient de se passer ! ». Ces derniers témoigneront après son décès et pourtant, malgré l'injonction du désormais défunt, ils semblent tous avoir un inexplicable trou de mémoire sur le déroulement des faits.
En décembre 1763, le cuisinier Carrère est à l’agonie, persuadé d'avoir été empoisonné par des religieux. Le médecin Jean Merlhes, qui est à son chevet, rapporte certaines de ses dernières paroles : « Mon Dieu je suis à vous, Satan, retires-toy ! ». Attentionné, le médecin « lui demanda si la têtte lui faisoit du mal ; il lui répondit avec le même ton furieux : Chiès-y monsieur ! ». Termes qui n'étaient assurément pas très élégants, mais qui lui ont peut-être apporté du réconfort dans ses ultimes convulsions.
En 1738, le jeune baron de Pordéac trompe d’abord son monde avec : « Ah mes amis, je suis mort ! ». Il lui faudra en effet patienter jusqu’au lendemain avant de passer l'arme à gauche, ce qui lui laisse assez de temps pour pardonner à l'auteur du coup de feu fatal mais peut être pas suffisamment pour réviser son latin de cuisine car il s'éteint enfin en prononçant un solennel « Diviettimus debitoubas nostris », ce qui n’est pas franchement correct.
C'est indéniablement le chevalier de Cortade qui a eu le plus à dire. En effet, après s’être fait sabler1 un soir de novembre 1772, il sait qu’il n’en a plus que pour quelques jours avant de succomber inexorablement à ses lésions internes. Il explique d’abord à son ami Louis-Roze de Gaye : « Aproche-toy, il me suffit de te dire que l'on m'a sablé ; ainsi tu vois toy-même que je suis sans ressource et que je n'ay que quelsques moments à vivre », puis à une cabaretière « Je suis perdu, je n'en reviendray pas ». Il se confie à d’autres encore « Mes amis, je vous ay beaucoup d'obligation mais je suis un homme mort ». Tous sont incrédules car Cortade est certes un peu ralenti mais il ne semble présenter aucune blessure, aucune ecchymose n’est visible. Et pourtant, l’écuyer va s’éteindre comme il l'avait prédit et ce n’est qu’après son exhumation qu'une autopsie révélera la réalité du crime commis contre sa personne.
Les procédures criminelles des capitouls rapportent ainsi directement ou par l'intermédiaire de témoins les dernières paroles de ceux que la mort va bientôt emporter. Quant à celles de condamnés, il est possible que certaines belles phrases soient couchées dans leurs testaments de mort (qui sont conservés aux Archives départementales de la Haute-Garonne), mais on en trouve aussi dans les mémoires manuscrites de Pierre Barthès (conservées à la Bibliothèque d'Étude et du Patrimoine).
Nous livrons un seul exemple, celui de François Vallier, qui aura bien amusé la galerie ce 6 juillet 1753 juste avant de se balancer au bout d'une corde. Condamné pour le viol d'une enfant dans les Cévènes, il va donc être pendu. Enjoint de monter sur l'échafaud, « ce qu'il fit avec grâce et sans trouble, riant au contraire, et disant au bourreau qui l'attachoit et le regardoit faire : Tu prends bien de[s] précautions ». Le confesseur qui cherche à convertir cet Huguenot goguenard en perd même son latin, Vallier se moque ouvertement de lui, demande à être pendu, puis fait semblant de se raviser et de vouloir parler à la Justice et à Dieu. Il en profite pour se faire servir un goûter. Puis, de guerre lasse, on le ramène à la potence, le prêtre ne « pouvant réussir à l'assujetir à ses exhortations, le bourreau de son côté perdant aussy son temps malgré sa ferveur et son zèle ». C’est là que Vallier s’adresse aux capitouls et leur clame : « Mess[ieu]rs je suis innocent comme l'enfant d’un jour ». L'exécuteur lui dit alors « qu'il alloit le faire sauter. Hé bien sautons, dit-il, et il s'élança luy-même »2.
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1 Le terme de sabler indique une agression avec, soit une peau d'anguille, soit de petits sacs remplis de sable ; une formidable matraque molle si vous préférez.
2 Mémoires manuscrites de Pierre Barthès, "Pendaison singulière et inouïe", entrée du 6 juillet 1753. B.M.T., Ms. 701, p. 46-48.