C'est parce qu'elle a une amie souffrant de « maux de tête horribles » qu'en 1764, la marquise de Livry, écrivant de Paris, s'enquiert auprès de son amie toulousaine, la présidente Dubourg, « de sçavoir d'un médecin ou chirurgien la façon dont on applique un poumon de mouton sur la teste, et dans quel cas ce remède est salutaire »1.
Remède de bonne-femme ou de grand-mère, pensez-vous ? Que nenni ! Le monde médical toulousain, toujours à la pointe de la recherche, utilise régulièrement ce traitement en cas de traumatisme crânien.
Par exemple dans le cas de Marie Amblard, frappée à la tête d'un violent coup de caillou2 en mai 1753. Après lui avoir fait quatre points de suture, le chirurgien lui prescrit immédiatement la totale, c'est-à-dire une saignée au bras, une à la jugulaire, et une dernière au pied. Mais ce n'est pas tout : un traumatisme crânien étant à craindre, il ordonne l'application d'un poumon de mouton sur la tête de Marie. Las ! Elle décédera tout de même quelque vingt jours plus tard.
D'autres ont le poumon plus heureux. Ainsi, en octobre 1745, le chirurgien et docteur agrégé Bernard Carrière traite Jeanne Boulet, après une agression à « coups de poings et de bûche sur différantes parties de son corps »3, particulièrement à la tête. Si son rapport indique qu'il lui prescrit « une saignée au pied, l'usage du vulnéraire de Suisse intérieurement et de l'eau d'arquebusade extérieurement », on sait qu'il va aussi lui appliquer un poumon de mouton, car les experts nommés deux jours plus tard lui font enlever ce curieux cataplasme. Convaincu de l’efficacité de son traitement, Carrière pratique la même opération trente ans plus tard en soignant un confrère passé à tabac et ainsi décoré de deux belles bosses ayant « le volume d'un œuf de pigeon »4. Il explique : « je l'ai fait saigner au pied tout de suite et lui ai ordonné l'aplication d'un poumon de mouton sur la tête pour prévenir de plus grands accidens ». Avec succès certainement, puisque la victime, le chirurgien Sergeant dit Noël, est rapidement remise sur pied.
En septembre 1755, le chirurgien Bernard Darlès, constatant une tumeur traumatique sur la tête d'Antoine Vigneaux, indique qu'il faut faire des « apliccations propres pour prévenir les acxidants comme le peaumon de mouton sur la teste et les veulnereros intérrieurs et ostres »5.
Terminons ce rapide tour d’horizon de cures contre les traumatismes et maux de tête en juillet de cette même année 1755, où le chirurgien Rivière, appelé au chevet de Marie Dardignac6, cabossée dans une rixe, recommande d'appliquer des compresses imbibées d'eau de vie sur le crâne. Trois jours plus tard, ne voyant pas d'amélioration, il ordonne cette fois l'application... d'un pigeon ! Et par pigeon, il entend un pigeon entier que l'on « applique ouvert encore vivant sur la tête […] pour ouvrir les pores et pour faire transpirer les fuliginosités du cerveau dans les transports excités par la fièvre maligne, pour la phrénésie, pour l'apoplexie & pour la létargie »7.
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1 - 5S 456, lettre du 31 août 1764.
2 - FF 797 (en cours de classement), procédure du 2 mai 1753.
3 - FF 789/6, procédure # 122, du 4 octobre 1745.
4 - FF 819/5, procédure # 099, du 7 juin 1775.
5 - FF 799/7, procédure # 196, du 19 septembre 1755.
6 - FF 799/4, procédure # 126, du 3 juillet 1755.
7 - Voir « Les pigeons de la discorde », Dans les bas-fonds, (n° 35) novembre 2018, page 11, note 38.