
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
À l'instar de générations de jeunes gens fortunés d'Outre-Manche (mais pas que) qui, sous l'Ancien Régime et même jusqu'à la Belle Époque entreprenaient leur Grand Tour en traversant l'Europe pour généralement atteindre l'Italie, voire la Grèce, nous vous proposons une alternative à moindre coût et bien plus écologique : un Grand Tour de ce numéro de rentrée d'Arcanes et par là-même le Grand Tour des Archives de Toulouse, ceci depuis votre fauteuil ou votre canapé.
Pensez, en quelques lignes vous allez pouvoir arpenter entre 17 et 20 kilomètres d'archives. Quelle aubaine !
Le Grand Tour peut ainsi débuter avec Jean Dieuzaide, qualifié ici de métatouriste. Il sillonne la France et photographie les monuments extraordinaires ou emblématiques qui vont servir à illustrer guides touristiques et ouvrages spécialisés, particulièrement dans l'art roman. Une invitation au voyage que l'on retrouve au travers de 60 albums conservés aux Archives.
Besoin de fraîcheur ? Qu'à cela ne tienne, l'aventure continue au fil du canal du Midi avec les archives d'Urbain et d'Henry Maguès qui nous ouvrent des voies d'eau mais ne répugnent pas à œuvrer sur terre et à préfigurer la grande percée d'Alsace-Lorraine.
L'étape suivante pourrait correspondre à un Grand Tour rabelaisien : on semble faire un crochet en Sorbonne, mais les pensées de Jacques Levron évoquent finalement les réserves auxquelles l'archiviste-paléographe doit se tenir dans son implication avec les syndicats d'initiative. Subtil rappel aux locaux des Archives de Toulouse qui, jusqu'en 1946, étaient dans le donjon, à l'étage de l'actuel Office du tourisme.
Notre Grand Tour ne nous amène peut-être pas jusqu'aux ruines de Pompéi et d'Herculanum, mais il nous invite à naviguer entre plusieurs bâtiments fièrement dressés vers l'azur toulousain, de la Poste ancienne de Léon Jaussely à la Téléphonie nouvelle d'Andrée Moinault, en passant par le Monument aux combattants (qui d'ailleurs, lui aussi, a fait son « Petit Tour », très remarqué, durant l'été).
Nous quittons un instant les galeries souterraines du réservoir de Périole afin de pousser notre pérégrination vers les monts Pyrènes, jusqu'à la grotte du Mas d'Azil, l'affiche est alléchante, et son auteur nous renvoie immédiatement vers les Archives puisqu'une partie de ses classeurs de dessins y est conservée, en attendant paisiblement une restauration préalable, puis un classement définitif.
Ce numéro d'Arcanes ne s'achèvera pas par un retour à la case départ car nous vous proposerons au contraire une manière de prolonger votre Grand Tour à votre guise, avec une sélection de destinations à faire pâlir d'envie les plus grandes agences de voyage. Les pantouflards y trouveront leur bonheur, comme les amateurs d'eau iodée ou de torrents d'altitude. Il y en aura même pour les fondus de romantisme, Grand Tour oblige.
Nous pourrions ainsi adapter cette platitude toute faite « les voyages forment la jeunesse » en une réflexion bien plus profonde : « les voyages dans les Archives ouvrent des fenêtres sur les mondes tant proches que lointains, passés ou à venir ».
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Début des années 1950, le tourisme se développe à grandes enjambées dans une France où la voiture est une botte de sept lieues, sur un réseau routier qui se modernise. Michelin (pneus, cartes jaunes, guides verts et chefs étoilés) fait des émules : les guides touristiques se répandent, s’attachant une suite de spécialistes du patrimoine dans laquelle Jean Dieuzaide s’insère.
On sait qu’il rencontre Benjamin Arthaud dès 1950 lors d’une réunion du groupe des XV à Paris (groupe dans lequel le photographe Lucien Lorelle le fait entrer), et qu’il débute, à partir de 1953, une grosse décennie de collaborations avec l’éditeur isérois, après avoir fait ses preuves dans La Gascogne. On sait aussi qu’en 5 ans il illustre 13 volumes de la collection « La France illustrée » chez Alpina, petits ouvrages faciles à sortir du sac pendant les vacances ou à utiliser pour faire visiter la région aux amis de passage. Après Alpina il entame une collaboration avec Dom Angelico Surchamp pour les éditions Zodiaque. Une nouvelle rencontre marque l’œil de Dieuzaide, celle de l’art roman, et plus largement du patrimoine religieux médiéval, qui fait écho à sa spiritualité. Après une participation en 1956, il signe la photographie de 6 volumes entre 1958 et 1963 et obtient en 1961 le prix Nadar pour Catalogne romane. Parallèlement il œuvre aussi pour l’éditeur toulousain Privat avec des publications sur l’histoire régionale entre 1955 et 1967.
Ce sont les Trente Glorieuses et il faut alimenter l’appétit de découverte et de voyages avec des publications étoffées ou faciles d’accès mais toujours alléchantes. L’illustration, et particulièrement la photographie, y tient une place de choix. Majesté d’un monument, authenticité de traditions, mise en valeur de richesses locales, le photographe doit traduire l’atmosphère qui donnera envie de venir sur place, il séduit le chaland. En cela, Jean Dieuzaide est un métatouriste. Il parcourt une grande partie du sud de la France et de l’Europe, mais pas que, cahier des charges en poche et valise pleine de documentation sur les destinations pour lesquelles une publication est programmée.
Il visite ainsi une vingtaine de régions et pays en un peu plus de 15 ans, participe à une trentaine de publications et engrange une matière photographique qui remplit plus de 60 albums, consultables sur rendez-vous aux Archives. C’est en partie par ces pérégrinations que Dieuzaide se forge une patte. Son regard s’aiguise, son réseau se développe, il se forge une place notable auprès des directeurs d’entreprises et institutions et répond à leurs très nombreuses commandes, dont nous parlerons lors d’un prochain billet.
La pause estivale a été l’occasion pour nous de collecter un nouveau fonds d’archives. Et celui-ci va vous donner envie de pratiquer le tourisme dans la région toulousaine et plus précisément dans les abords du Canal du Midi. En effet, le fonds Maguès, classé et conservé sous la cote 144Z, aborde en grande partie la vie de deux grands toulousains du XIXe siècle : Urbain et Henry Maguès.
Ceux-ci, particulièrement connus pour leur gestion du Canal du Midi durant plusieurs années, ont aussi participé au développement de l’urbanisme toulousain à la fin du XIXe siècle. C’est ainsi que Urbain Maguès propose l’ouverture de la rue d’Alsace-Lorraine entre 1869 et 1873.
Outre ces documents particulièrement intéressants sur l’urbanisme toulousain, ce fonds constitue aussi un véritable témoignage de la vie d’une famille aisée à cette époque-là. Nous retrouvons une correspondance familiale importante, mais aussi des documents généalogiques permettant de retrouver les différentes familles alliées.
Mais surtout, nous conservons de magnifiques plans concernant différents cours d’eau, tels que le Girou ou le Canal de l’Agout, nous donnant quelques fois envie de voguer vers de nouveaux horizons.
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L’article publié en 1965 dans la Gazette des archives - « L’archiviste et le tourisme » - ne pouvait échapper à Arcanes de septembre !
Jacques Levron, conservateur en chef directeur des services d’archives de Seine-et-Oise, y conte qu’en 1951 une circulaire de la direction des Archives de France invite les préfets à nommer un archiviste dans les commissions consultatives de tourisme nouvellement créées. L’argument est simple : « Ce fonctionnaire connaît parfaitement l'histoire du département où il réside, ses richesses archéologiques, folkloriques et plus généralement toutes ses ressources culturelles. Il peut donc fournir d'utiles indications pour la mise en valeur de telle ou telle partie du département, pour l'organisation des visites guidées des villes ou des sites les plus importants, pour la mise sur pied d'un programme de conférences sur l'histoire monumentale ou littéraire de la région... »
Jacques Levron évoque ensuite le rôle de conseiller que peut jouer l’archiviste dans toutes les structures liées au tourisme, à commencer par les syndicats d’initiatives créés à la fin du XIXe siècle. Il saisit l’occasion pour mettre en garde ses collègues : il ne devrait pas accepter de poste de direction de tels organismes, autant pour des raisons d’incompatibilité entre cette fonction et le statut de fonctionnaire, que parce qu’ « elle exige des loisirs et chacun sait qu'en province, depuis quelques années, les directeurs des services d'archives n'en disposent guère ».
C’est sur un ton tout aussi sérieux qu’il rappelle à la fin de son article la « vocation fondamentale d’administrateur et d’érudit des directeurs de service d’archives » : « l'archiviste a d'abord pour mission, selon les termes mêmes du Règlement de 1921, de recueillir et de classer les documents, de rédiger les inventaires et les répertoires, de faire connaître les richesses dont il a la garde ». S’il est « parfaitement qualifié pour apporter aux organismes touristiques un concours apprécié (…) il doit le faire en restant dans la perspective de son rôle traditionnel. Il doit surtout n'y consacrer qu'une part raisonnable de son temps. C'est en chartiste que l'archiviste doit s'intéresser au tourisme. Et, en fin de compte, il n'en servira que mieux les intérêts de celui-ci. »
L’archiviste n’a pas le temps d’être un touriste de l’histoire !
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Quel bonheur à la fin de l’été de recevoir (encore) des cartes postales. L’origine de cette pratique apparaît en Allemagne, semble-t-il, peu de temps après la guerre de 18701. Elle prend ensuite toute son ampleur avec le développement du tourisme et la création des congés payés la consacre en tant que passage obligé de tout vacancier se rappelant au bon souvenir de sa famille et de ses amis, en même temps qu’elle proclame haut et fort : « j’y étais ». Cette première moitié du 20e siècle voit ainsi un essor sans précédent de l’activité postale et des communications, et les bureaux de postes se multiplient sur tout le territoire. Repères dans le paysage urbain et marqueurs de la présence de l’État dans la moindre bourgade de province, leur construction est assurée par un service d’architecture des PTT créé en 1901 au sein du ministère2. Ses architectes sont des hommes de l’art aux titres prestigieux, souvent Prix de Rome, comme l’était Léon Jaussely, auteur du bâtiment Art déco de la poste de Saint-Aubin.
L’actualité toulousaine met à l’honneur cet architecte, auteur de plusieurs œuvres dans sa ville natale et dont le rôle précurseur dans la naissance de l’urbanisme moderne est largement reconnu3. Dans le cadre des travaux de la ligne C, le monument aux combattants de la Haute-Garonne fait l’objet d’un chantier titanesque avec le déplacement des 1400 tonnes de l’arc de triomphe. Quant à la poste de Saint-Aubin, elle est en cours de rénovation.
Et comme le bonheur, c’est aussi simple qu’un coup de fil, un bâtiment dédié à l’amplification des lignes à grande distance est bâti peu de temps après la poste de Jaussely à l’opposé de la parcelle, du côté du canal. Détruit par l’armée allemande, il est reconstruit à partir de 1944 par l’architecte des PTT Andrée Moinault. Les jeux de lumière créés par le calepinage de la brique, le solin enduit ou les corniches en béton assurent le lien entre le bâtiment Art déco de Jaussely et le centre d’amplification au style moderne, conçu par cette femme architecte dont l’œuvre reste à découvrir.
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1 - Les origines de la carte postale | Musée de la Carte Postale (museedelacartepostale.fr)
2 - Charlotte Leblanc, « Les archives du ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones (1945-1991) aux Archives nationales : une source pour la connaissance de l’architecture », In Situ [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 04 mai 2018, consulté le 17 août 2023. URL : https://journals.openedition.org/insitu/15684 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.15684
3 - Rémi Papillault, « L'urbanisme comme science ou le dernier rêve de Léon Jaussely », Toulouse. 1920-1940. La ville et ses architectes. Toulouse: CAUE, Ecole d'architecture de Toulouse, Ombres Blanches, 1991, pp. 24-39.
Laurent Delacourt, Léon Jaussely, un pionnier solitaire. Paris : Éditions du patrimoine, collection "Carnets d'architectes", 2017.
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Toulouse possède quelques sites archéologiques et touristiques. Gérés pour la plupart par le musée Saint-Raymond, le plus connu est l’amphithéâtre romain de Purpan où des visites guidées sont organisées depuis des décennies. Quoi de plus normal, d’ailleurs, que de voir des touristes dans un édifice construit originellement pour le spectacle.
Nous aurions pu alors vous présenter le programme d’ouverture de 1996 que nous possédons dans nos papiers mais, celui-ci étant une photocopie assez simple, nous préférons vous montrer un document un peu plus attrayant.
Il s’agit d’une publicité concernant la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil. Site préhistorique célèbre depuis la fin du XIXe siècle, elle fut aménagée touristiquement à la fin des années 1930 par Joseph Mandement. Notre affiche elle-même date de vers 1940, année où Mandement a commencé à utiliser la même illustration dans sa correspondance. Mais ne sommes-nous pas un peu loin de Toulouse ? Pas tant que ça…
Regardez la signature du dessin et vous lirez « B. Amable ».
C’est celle du peintre Amable Eugène Benoist de Saint-Ange qui fut le décorateur du théâtre du Capitole dans les années 1920. La ville de Toulouse l’a d’ailleurs honoré à ce titre en baptisant de son nom une nouvelle rue en 2004.
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