L'image du moi(s)
Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !
« Frappe hardiment » est une belle sentence que l’on n’a guère l’occasion de prononcer de nos jours. Elle pourrait, à la rigueur, être de circonstance à l’occasion d’un atelier de bucheronnage médiéval ou d’une compétition de Béhourd. A ce sujet, on connaissait les cosplayers qui aiment à revêtir les oripeaux de leurs héros ou de leurs ancêtres, mais les « béhourdiens » poussent la blague un peu loin. S’ils enfilent côtes de mailles et armures c’est principalement pour se taper dessus à coup d’épées et de masse d’armes. D’après mes renseignements il existe même une Fédération Française de Béhourd pour ce sport de combat qui nous vient de Russie.
Pour en revenir à l’incipit de cette chronique, il fut prononcé dans un contexte moins guerrier, mais tout aussi dramatique. Il s’agit, selon la légende, des derniers mots adressés par le duc de Montmorency à son bourreau qui allait le décapiter dans la cour du Capitole le 30 octobre 1632. Avant la Révolution, trancher les têtes des nobles n’était pas très courant, on imagine donc des circonstances exceptionnelles. Il faut dire que quelques mois auparavant, le Languedoc avait fait sécession du royaume de France.
A l’origine de toute cette histoire, il y a un complot ourdi par le propre frère du roi Louis XIII, Gaston d’Orléans, visant à soulever le pays contre le cardinal de Richelieu. Finalement, seule la province du Languedoc, toujours prompte à l’irrédentisme, s’insurge vaguement. Henri II de Montmorency, maréchal de France entraîné dans la conjuration, prend la tête des troupes séditieuses. Ces dernières sont défaites à Castelnaudary et le gentilhomme rebelle fait prisonnier. Dans l’impossibilité de punir un membre de la famille royale, le duc, fusible idéal, est condamné à mort pour crime de lèse-majesté. L’exécution se déroule à huis clos, il faut croire qu’on ne voulait pas trop habituer le peuple à voir châtier la noblesse (il se rattrapera par la suite).
Qui n’a jamais ressenti, au cœur de l’été, un pincement à l’âme à l’idée qu’allait se refermer la parenthèse enchantée de soleil et de farniente ? Et pourtant, dès les premiers jours de septembre, nous reprenons le cours normal de nos vies. Pour autant l’été n’est pas fini. Avant que nuit et jour ne s’équilibrent, lors de l’équinoxe du 21 septembre, nous sommes encore, techniquement, en été.
Mais cela semble bien théorique quand, dans les têtes, les vacances estivales sont déjà loin. Pour éviter de clore cette période idyllique de l’année, certains ont décidé de vivre définitivement sur leurs lieux de villégiatures. Non sans quelques désillusions. D’autres, des surfeurs, ont essayé de vivre L’été sans fin (1966) en passant d’un hémisphère à l’autre à la recherche de la vague parfaite. Dans cette quête du graal héliotrope, il y a peut-être aussi une quête de la jeunesse.
Car, au fond, nos meilleures vacances d’été sont souvent celles de notre jeunesse. Lorsque nous n’avions pas à nous préoccuper d’intendance et d’agenda. Que nous n’avions qu’à profiter de notre famille, de nos amis, en toute insouciance. Parfois aussi en toute inconscience : ceux qui ont frôlé la catastrophe sur un piton rocheux, une mobylette aux freins défectueux, ou dans les rouleaux des grandes marées se reconnaîtront.
Dans mes jeunes années, j’avais, à l‘instar de nombreux enfants, le don de rendre ma mère folle. Notamment en organisant dans la maison des jeux aussi absurdes que dangereux. J’ai le souvenir notamment d’une sorte de football dégénéré qui se jouait en équipe mixte chiens / humains et se déroulait dans la salle à manger. Je ne sais plus combien d’objets ont été cassés dans le cadre de ces compétitions, ni combien de blessures plus ou moins graves elles ont pu engendrer.
Quoi qu’il en soit elles se terminaient toujours de la même façon, l’expulsion manu-militari des protagonistes de ces activités sportives sauvages. Allez oust ! Dehors ! Du balai ! Et l’on se retrouvait penaud dans la rue ou le jardin, avant de repartir vers de nouvelles aventures hasardeuses et excitantes.
C’est à un autre type de coup de balai que nous rendons hommage en ce mois d’août 2024. En effet, nous célébrerons, le 19 août prochain, les 80 ans de la libération de Toulouse. À cette occasion, les Archives présenteront une exposition intitulée : « Jean Dieuzaide 1944. Images du Grand Sud libéré » sur le parvis de la gare Matabiau. Vous pourrez y admirer des images iconiques du grand photographe, mais aussi d’autres moins connues que vous retrouverez dans un ouvrage éponyme publié aux Éditions Privat.
On a tous, un ami, un parent, un peu psychorigide, qui prépare son départ en vacances comme une campagne militaire. Pourtant même lui, ou elle, oublie finalement toujours quelque chose. Alors, imaginez ce qu’il en est pour les autres, ceux qui partent la fleur au fusil. Certes, c’est moins grave que d’oublier un bataillon de blindés pour un commandant en temps de guerre, mais cela peut notoirement gâcher votre séjour.
Parmi ces négligences il y a quelques classiques :
- oublier les clés de la maison ou de l’appartement de villégiature. Il faudra alors suivre un parcours du combattant pour récupérer un double conservé aux choix par un vieil oncle resté dans la région mais qui perd un peu la tête, ou par la pharmacienne du coin qui ouvre un jour par semaine de 16h à 18h.
- oublier les romans qu’on avait sélectionnés spécifiquement pour lire « à tête reposée cet été ». En guise de substitution, il faudra se contenter des ouvrages se battant en duel sur le présentoir famélique d’un bureau de tabac autochtone.
D’aucuns pourraient qualifier cela d’actes manqués. Car peut-être n’a-t-on pas vraiment envie de partir dans ce cabanon où la chaleur écrase tout sauf les moustiques. De même n’a-t-on pas réellement envie de relire ce classique de la littérature que l’on n’avait déjà pas aimé à l’école. En ce qui me concerne j’oubliais systématiquement tous mes cahiers de vacances au moment du départ, mais pour le coup il s’agissait bien d’un acte délibéré.
Mes premiers souvenirs du débarquement en Normandie, dont nous célébrons le 80e anniversaire ce mois-ci, remontent à la diffusion du film Le jour le plus long (1962) de Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck à la télévision. J’en ai gardé mémoire car, à l’instar de son titre, il était particulièrement long, près de trois heures et il me semble que cette durée exceptionnelle avait rendu nécessaire une sorte d’entracte.
J’avais été captivé par le fameux cricket des parachutistes de la 101e division aéroportée américaine qui permettait aux soldats de s’identifier. Ces derniers, largués derrières les lignes allemandes au-dessus de Carentan (Manche) dans la nuit du 6 juin 1944, pouvaient ainsi distinguer les amis des ennemis grâce à l’émission d’un « clic-clac » métallique auquel il fallait répondre par un double « clic-clac ». Je n’étais pas le seul à avoir été fasciné, car tous les garçons que je connaissais s’étaient immédiatement procuré ces engins, et le quartier, la cour de récréation et même les classes résonnaient de cliquetis incessants. Et gare à celui qui ne faisait pas le bon code…
La réalité dépassant souvent la fiction, le producteur du film avait souhaité édulcorer certaines scènes pour qu’elles soient visibles par tous les publics. Mais parfois la fiction prend le pas sur la réalité. Ainsi, un épisode célèbre du débarquement a vu le parachutiste américain John Steele rester accroché au clocher de l’église de Sainte-Mère-l’Eglise. A l’origine il pendait du côté du presbytère, mais Darryl F. Zannuck pensa qu’il serait plus cinématographique qu’il soit du côté de la place. Depuis, lors des reconstitutions le parachute est accroché à l'identique du film. « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ».
PS : Si l’histoire de la seconde guerre mondiale vous intéresse sachez que les Archives de Toulouse proposeront à compter du 19 août prochain une exposition dans l’espace public intitulée « Jean Dieuzaide 1944. Images du Grand Sud libéré », ainsi qu’un beau livre de photographie éponyme.
Après avoir causé téléphonie le mois dernier, l’idée de paraphraser le premier tube de Téléphone pour débuter cet article était assez tentante. Plusieurs légendes entourent d’ailleurs la genèse de Métro (c’est trop). L’une d’elle veut que Jean-Louis Aubert, chanteur du groupe, l’ait composé alors qu’il travaillait pour la SNCF. Si vous voulez mon avis il aurait aussi bien pu être boulanger tant ce qu’il décrit est le lot commun des usagers des transports ferroviaires et pas uniquement de leurs employés. Mais au fait le métro c’est trop quoi finalement ? Trop bondé ? Trop fatiguant ? Trop en retard ? Trop bien ?
Vous noterez au passage comment le « trop » péjoratif a, ces dernières décennies, progressivement glissé, chez les jeunes générations, vers le positif. Ainsi, dans le temps, une personne trop bien habillée avait revêtu une tenue peu appropriée à un environnement donné. Exemple : mettre un costume trois-pièces pour faire du jardinage, ou encore, une robe de princesse pour aller à l’école. Alors qu’aujourd’hui cela signifie simplement, en langage « jeune », être très bien habillé.
D’aucuns voient dans cette prolifération des « trop » un symptôme syntaxique de l’hyperconsommation. Le « très » ne suffit plus, il en faut encore plus, il en faut « trop ». C’est possible mais le plus gênant dans cette cohabitation d’un double sens est le quiproquo qu’elle peut induire. Ainsi, quelqu’un vous dit : « En mai il y a trop de ponts, c’est trop les vacances ». Si vous ne le connaissez pas bien, le spectre d’interprétation sera assez large. C’est là que le ton entre en jeu. Mais du premier degré, au second, de l’ironie au sarcasme, la palette est large. Décidément c’est très compliqué ou trop compliqué, je ne sais plus…
Dans les décennies à venir, il est fort possible que l’expression « passer un coup de fil » nécessitera une explication étymologique. Non pas qu’elle ne sera plus comprise, mais à l’instar d’autres formules comme « dorer la pilule » ou « comment allez-vous ? » on découvrira, étonné, à quelle réalité cela fait référence. Car ils seront très peu nombreux ceux qui auront connu le temps des combinés téléphoniques reliés à leur base par un fil, lui-même relié à tout un réseau filaire maillant le territoire.
Nous célébrons d’ailleurs, le 3 avril, le 51e anniversaire du premier appel passé d’un téléphone portable mobile. Ce jour de 1973, Martin Cooper, ingénieur chez Motorola, passa un coup de fil historique non pas à sa maman, à sa femme, ou à son patron, mais à son concurrent le docteur Joe Engel, qui travaillait alors pour Bell Systems, pour le faire bisquer. L’engin utilisé, le Motorola DynaTAC, n’était pas des plus ergonomique et pesait plus d’un kilo avec une autonomie de 25 minutes, mais il a néanmoins ouvert une nouvelle ère.
Vingt ans plus tard une autre déflagration devait agiter tout un pays. C’est en effet le 2 avril 1993 que le journaliste belge Jean-François Bastin osa interroger François Mitterrand au sujet d’une cellule d’écoutes illégale installée à l’Elysée. La dénégation du président devait faire exploser l’affaire au grand jour : plus de 150 personnalités écoutées sur ordre du premier magistrat de France, journalistes, écrivains, avocats entre 1983 et 1986.
Cette double célébration nous parle finalement assez bien de notre époque où nous oscillons entre une appétence jamais rassasiée pour les progrès technologiques et une défiance toujours plus grande au regard des dangers de surveillance généralisée qu’ils font peser sur nous. Symbole de cette ambivalence le téléphone portable qui est devenu quasiment indispensable à notre vie quotidienne, mais dont l’absence nous soulage étrangement.
Nous avons appris avec tristesse, il y a quelques mois, la disparition brutale de l’acteur Matthew Perry connu pour l’interprétation du sarcastique et néanmoins sympathique Chandler Bing de la série Friends. Cette sitcom culte a donné lieu à de nombreuses exégèses, mais peu de gens se sont penchés sur le patronyme de ce dernier personnage qui est à l’instar de beaucoup de noms anglais - merci Guillaume le Conquérant – d’origine française.
Il s’agit en fait d’une anglicisation du mot « chandelier », fabriquant de cierge. Et cela tombe bien car, en ce début du mois de février, nous célébrons la Chandeleur. Certes, la dimension religieuse de cette manifestation a quelque peu disparu au profit de son aspect strictement gastronomique, pour ne pas dire « crêpier ». Mais la fête des chandelles (d’où le nom) fait bien partie de la liturgie catholique et commémore la présentation de Jésus au Temple et la purification de Marie. Quel rapport, me direz-vous, avec les bougies et les crêpes ?
Comme souvent, il faut aller le chercher dans des cultes païens antérieurs amalgamés par le christianisme. On fêtait ainsi, dans l’ancien temps, la purification des sols préparant les récoltes abondantes, mais aussi le retour de la lumière, avec l’allongement rapide des jours à cette époque de l’année. D’où les illuminations et les galettes d’aspect « hélioforme ». On célébrait aussi le retour à la vie des hibernants. La marmotte, dont on guette encore le réveil outre-Atlantique, mais surtout le roi des animaux d’Europe : l’ours. Pour preuve, la Chandeleur s’est longtemps appelée « Chandelours » sous l’Ancien Régime, d’ailleurs le plantigrade est toujours honoré le 2 février dans certaines vallées des Pyrénées.
A l’aune de cette nouvelle année, où resplendit en gloire le premier de l’an, il serait cruel d’en négliger pour autant le dernier. Car outre le sempiternel réveillon, il a été le théâtre d’évènements remarquables. Ainsi en l’an 192, il vit l’assassinat de Commode qui, contrairement à ce que son nom indique, n’est pas le créateur d’une chaine de magasins d’ameublement mais bien un empereur romain. Exécuté par sa concubine Marcia, ce grand zélateur des jeux du cirque, lui-même bâti comme un gladiateur, traîne derrière lui une réputation assez trouble que certains historiens estiment imméritée mais qui reste néanmoins gravée dans le marbre.
C’est inscrit dans un autre type de roche que ce jour passa à la postérité dans le calendrier républicain de 1793, élaboré par le poète révolutionnaire Fabre d’Eglantine. A compter de cette date, le 31 décembre habituellement placé sous le patronage de saint Sylvestre, devint le 11 nivôse, jour du granit. Il pouvait s’estimer heureux d’avoir échappé de peu au fumier (28 décembre) ou au salpêtre (29 décembre).
Le public d’un petit club de Sidney (Australie) a pu aussi s’estimer heureux lorsque montèrent sur scène les membres d’AC/DC, lors du réveillon de 1973, pour leur premier concert. Considéré comme un pionnier du hard rock, le groupe a produit plusieurs tubes planétaires, dont certains sentent encore le soufre : Hells Bells, Highway to Hell. Cependant, la Saint-Sylvestre n’a pas vu le seul avènement de rejetons sataniques, mais aussi celui d’un ange, un ange blond. En 1952, naissait à Toulouse Jean-Pierre Rives, rugbyman de légende, dont la longue chevelure de feu, souvent essaimée de rouge sang, a imprimé la rétine de nombreux spectateurs et dont le talent a fait les grandes heures du Stade Toulousain et de l’équipe de France.
Car en vérité, je vous le dis, les derniers seront un jour les premiers.